Rupture algérienne avec le Maroc : un non-événement

Le ministre des affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, a annoncé, mardi 24 août, la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, en raison de prétendues «actions hostiles» du royaume à l’égard de l’Algérie. Un non-événement et une diversion de mauvais augure. 

Il fut un temps où le roi Mohammed VI a appelé l’Algérie à un dialogue «direct et franc», en proposant la création d’un «mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation» pour «dépasser les différends» entre les deux voisins. Un mécanisme qui aurait permis de discuter «sans tabou» de toutes les questions bilatérales brûlantes et de «mettre tous les griefs sur la table» : la drogue, la contrebande, la question du Sahara, les faits historiques, les conventions non respectées, etc. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, et on est loin de ce temps, et il est même admis à peu près parmi les cercles diplomatiques qu’une dérive algérienne s’installe progressivement.

«L’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc à partir d’aujourd’hui [24 août]», a déclaré le ministre algérien Ramtane Lamamra lors d’une conférence de presse. Ce dernier a justifié cette décision en ressassant la même sérénade chère au régime contre le Maroc. Mais cette annonce est un non-événement. Si c’était encore une obstination préméditée, décidée, calculée, ce serait un système. Le régime algérien ne fait que conformer sa diplomatie aux indications de l’opinion intérieure, à la volonté d’une ligne hostile au Maroc. Il s’est replié sur cette option, parce qu’après tout c’est le meilleur moyen de ne rien faire pour le peuple qui souffre en paraissant sauvegarder une certaine dignité malmenée, en se mettant à l’abri d’une bourrasque qui peut l’emporter.

Pour le régime en crise, il vaut bien mieux fulminer contre le Maroc, jouer aux théories complotistes et aux prises en considération sans preuve, faire la guerre à toute tentative de réconciliation, dépenser des milliards pour une armée dont on détruit l’organisation et le ressort, livrer l’avenir du pays à l’esprit de parti, s’attacher à tout ce qui flatte des passions, des préjugés ou des goûts dont il peut se servir dans un intérêt de domination en raison de sa légitimité contestée. Face à la double catastrophe sanitaire et des feux de forêts, la diaspora algérienne dans le monde s’est retrouvée en première ligne pour organiser la collecte et l’acheminement de l’aide d’urgence, accompagnée d’une mobilisation massive de la société civile.

Le régime algérien, démissionnaire, se trahit lui-même et la décision de rompre avec le Maroc démontre qu’il a sacrifié tous ses devoirs pour des déclarations surréalistes, par de médiocres calculs de tactique politique. Ses dignitaires, c’est bien clair, soulèvent plus de questions qu’ils n’en peuvent résoudre ; ils sont les premiers embarrassés de ce qu’ils font. Il s’est trouvé dans un entraînement radical et dans la brutale mission de nourrir une antipathie vulgaire contre le Maroc.

Cette rupture est un non-événement parce que le Maroc côtoie un voisin désespéré et sans boussole. Le roi Mohammed VI avait déploré avant trois semaines les «tensions» avec l’Algérie, invitant le président Abdelmadjid Tebboune, «à faire prévaloir la sagesse» et à «œuvrer à l’unisson au développement des rapports» entre les deux pays. Mais le régime algérien sait que la carte Maroc est nécessaire à sa survie.

La reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël – accompagnée d’une reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara – a poussé le régime algérien à adopter une rhétorique complotiste et parfois antisémite, au point d’annoncer que des «manœuvres étrangères» en voudraient à la sécurité de l’Algérie.

Les liens diplomatiques avaient été rompus une première fois entre les deux pays quand, le 7 mars 1976, Rabat mettait fin à ses relations avec Alger à la suite du soutien de la junte militaire algérienne aux milices du Polisario.

Alger, qui n’en est pas à sa première contradiction, avait rappelé, en juillet, son ambassadeur à Rabat après que «la représentation diplomatique marocaine à New York [a] distribué une note officielle aux pays membres du mouvement des non-alignés dans laquelle le Maroc “soutient publiquement et explicitement un prétendu droit à l’autodétermination du peuple kabyle”», avait expliqué le ministère des affaires étrangères algérien. L’unité marocaine, elle, ne vaut rien pour le régime de Tebboune.

Durant une réunion du mouvement des non-alignés les 13 et 14 juillet, à New York, le représentant permanent du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, avait fait passer une note dans laquelle il estimait : «Le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination.» Un tabou pour Alger, qui s’oppose à toute volonté indépendantiste de la Kabylie, région berbérophone du nord de l’Algérie.

Mercredi 17 août, le Haut Conseil de sécurité, dirigé par le président algérien avait décidé de «revoir» les relations avec le Maroc, mais la raison avancée a provoqué d’immenses réactions dérisoires : Alger a accusé Rabat d’être impliqué dans les incendies meurtriers qui ont ravagé le nord du pays, faisant au moins 90 morts. Et l’incurie criminelle d’un régime qui méprise sa population ?

«Les actes hostiles et incessants perpétrés par le Maroc contre l’Algérie ont nécessité la révision des relations entre les deux pays et l’intensification des contrôles sécuritaires aux frontières ouest», avait affirmé la présidence algérienne dans un communiqué. Personne n’y croit. Est-ce que ce régime est maître de gouverner des obsessions dont il s’est fait le complice, auxquelles il doit chaque jour des renoncements ou des concessions nouvelles ?

Selon le président Tebboune, la plupart de ces incendies étaient d’origine «criminelle» – sans que ne soit présentée jusqu’à présent la moindre preuve. L’enquête, surréaliste, a permis, selon le régime, de «découvrir qu’un réseau criminel classé comme organisation terroriste» est derrière les incendies, «de l’aveu de ses membres arrêtés», selon la Direction générale de la sûreté nationale. Sur les réseaux sociaux, on s’interroge sur la dérive d’un régime algérien coupé des réalités. «Le régime n’avait rien prévu, il est dépassé et c’est la société civile qui s’est organisée, d’abord sur place puis en lien avec la diaspora via un réseau d’associations partenaires», explique Samir Yahyiaoui, figure de la société civile algérienne, après la crise des incendies et des bonbonnes d’oxygène. Même constat lorsqu’il s’agit de la situation avec le Maroc.

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