Gazoducs, passages maritimes, AQMI et Boko Haram

Les deux sorties consécutives du régime algérien les 23 et 27 avril derniers par respectivement le président et son  ministre de l’Energie, sur le gaz qui transitera à travers le GME selon les accords entre Rabat et Madrid, interpellent à plusieurs niveaux. 

Le premier, au niveau de l’ingérence d’un pays tiers sur une infrastructure hors ses frontières. Ce niveau relève de la compétence des deux Etats concernés de dénoncer pareille immixtion dans des affaires bilatérales. D’ailleurs, si le Maroc, habituellement, ne prête pas attention aux vociférations et provocations algériennes, l’Espagne, par la voix de son ministre des Affaires étrangères et de sa ministre de la Transition écologique et troisième vice-présidente du gouvernement , a recadré Alger. Ce qui nous mène tout droit au deuxième niveau de lecture. 

Il concerne à la fois le manque de maturité et le manque de fiabilité du régime militaire algérien de plus en plus inquiétant. 

Voilà un pays qui a réaffirmé, en août 2021, ne pas revenir sur sa décision de non-reconduction du contrat relatif aux hydrocarbures avec le royaume, via le GME qui relie le Maghreb à l’Europe, en alimentant principalement l’Espagne. Cette dernière a vu son approvisionnement  en gaz algérien décroître via Medgaz aux capacités de débit bien moindres. Tout ceci motivée par une guerre diplomatique que mène Alger contre le Maroc.  Ce que l’Algérie a prouvé par cet acte c’est qu’elle n’hésite pas à mettre en danger ses partenaires européens qui sont aussi ses premiers clients et ses premiers pourvoyeurs d’aides.  Elle les fragilise ainsi sur les plans de sécurité énergétique et de sécurité tout court, au plus fort de la  guerre Russie -Ukraine aux conséquences énergétiques mondiales désastreuses encore à venir. 

En Europe, l’on savait l’Algérie non fiable sécuritairement. Et ce, bien avant ce positionnement de 2021 aux ramifications plus diverses qu’un simple approvisionnement en énergie et bien avant ces menaces incessantes d’avril 2022 de fermer les robinets de gaz à l’Espagne.

Un rapport de l’UE datant de juin 2013, à l’époque où la communauté européenne, comme les USA d’ailleurs, croyait pouvoir contenir et infléchir les visées et marges de manoeuvres illicites algériennes au Sahel aux multiples ressources (uranium, or…) affirme le peu de fiabilité de l’Algérie et la dangerosité de mettre entre ses mains la sécurité de toute une région. Florilège :

-“ l’Algérie joue un rôle ambivalent dans la région”;

-“L’Algérie est à son tour critiquée en raison de sa position ambiguë dans la région, de ses efforts insuffisants en matière de surveillance et de contrôle des activités des groupes armés au Sahel, et de sa réticence à partager les renseignements concernant les acteurs impliqués au Mali”. 

-Certains experts ont également avancé que l‘Algérie a été très peu touchée par les activités d’AQMI et que le pays se sert de cette organisation comme prétexte pour renforcer son prestige régional dans la lutte contre le terrorisme. 

“Certains y voient également une intention cachée de défense de la position du pays en tant qu’acteur essentiel dans le Nord du Mali.”

-« L’ambiguïté de certaines positions algériennes est peut-être liée au caractère particulier des menaces transnationales dans la région du Sahel, et celui-ci doit être pris en considération en cas de recommandations politiques”.

-“Le Sahel est le terrain de plusieurs réseaux exerçant des activités extrêmement diversifiées, et l’Algérie occupe une place centrale pour un grand nombre d’entre eux. Ces réseaux comptent des hommes d’affaires ordinaires exerçant des activités entièrement légales mais également des trafiquants de cigarettes et de marchandises subventionnées (produits alimentaires et pétrole) en provenance de Libye et d’Algérie et à destination du Mali et du Niger, ainsi que des individus exerçant  des activités illicites bien plus graves telles que le transport des migrants de l’Afrique subsaharienne jusqu’en Afrique du Nord et en Europe” .

C’est cette nonchalance occidentale, malgré sa pleine conscience de l’ambivalence des positions d’Alger fortement défendue par Paris, qui permet à ses dirigeants de prétendre avoir un droit de regard dans des affaires souveraines et légales, qui ne les concernent pas. 

Cette attitude offensive sans fondement cache assurément autre chose. Il semble que cet “autre chose” soit d’entraver la réalisation du gazoduc Nigéria-Maroc. Pour empêcher le Maroc et tous les pays de l’Ouest dont les eaux traversent le golfe de Guinée de bénéficier de gaz, d’améliorer les échanges entre eux et avec d’autres pays africains, et d’arriver à une sécurité globale et une autosuffisance industrielle, ce qui constitue, rappelons-le, l’un des chevaux de bataille du roi Mohammed VI pour l’Afrique.  Soulignons que le circuit du gazoduc emprunte le tracé du Golfe de Guinée et que ce Golfe* est le plus dangereux des passages maritimes au vu de la piraterie intensifiée qui y sévit ; et qu’il s’agit d’un passage de marchandise et d’énergie vers (et de) l’Europe et les Amériques également.

Est-il besoin de rappeler qu’avec avec la réalisation de ce gazoduc, le Maroc sera appelé, en tant que champion de la coopération sécuritaire, à jouer un rôle dans la sécurité de toute la région dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme ? Un défi lié également à la lutte contre le risque environnemental mondial que constituent les attaques de pirates contre les infrastructures pétrolières dans le Golfe de Guinée (lequel représente 24 milliards de barils de pétrole de réserves prouvées).  

Cela dessert clairement l’agenda algérien au plan sécuritaire mais aussi au niveau d’infrastructures qui placeraient le Nigéria au premier rang des producteurs africains, place qu’occupe actuellement l’Algérie. Rappelons que le Nigéria qui occupe aujourd’hui la 3ème place, dispose de bien plus de réserves en gaz que l’Algérie : 2,7 % des réserves prouvées  mondiales contre 2,2%.  

Dans ce contexte, il est nécessaire de rappeler la collaboration entre AQMI et Boko Haram. Et il est primordial de rappeler ce qui ne fait plus de doute aujourd’hui, c’est-à-dire la collusion entre les services secrets algériens et AQMI, et entre les réseaux salafi-jihadistes et le crime organisé, dont le trafic de pétrole, la traite d’humains, le trafic de cocaïne et autres stupéfiants corrélés à l’économie de rente algérienne, comme le certifie le rapport de l’UE mentionné plus haut. 

L’occident aujourd’hui, et l’Espagne et la France  en particulier, n’ont plus aucun intérêt à fermer les yeux sur les actions de l’Algérie  en vue de  saper la sécurité énergétique de tous, liée à la sécurité des routes commerciales maritimes, terrestres, lesquelles parfois passent également par les voies aériennes. 

Les positions erratiques de l’Algérie, outre de menacer la cessation du contrat gazier avec l’Espagne, avaient également concerné l’interdiction à la France du survol de son territoire vers le Sahel, pour avoir si  justement affirmé qu’Alger était un système politico-militaire. 

*Le golfe de Guinée fait l’objet de l’attention internationale au même titre que le Détroit de Gibraltar ou encore le Golfe d’Aden, car il constitue un passage obligé pour la route maritime, liant Amérique, Europe et Afrique mais aussi les pays le longeant. Ainsi l’Union européenne avec l’AFD agit sur leurs fragilités à travers le programme Stratégie Team Europe (2021-2027), mais aussi les Etats Unis, comme on l’a vu le 25 avril dernier dans un communiqué du département d’Etat US avec l’Officier commandant du USS Hershel «Woody» Williams, le capitaine de la marine américaine Michael E. Concannon  Directeur des engagements en Afrique des forces navales des États-Unis pour l’Afrique, le capitaine de la marine américaine John M. Tully, dans le cadre de l’AFRICOM.  Les pays du  Golfe de Guinée attirent de plus en plus d’investisseurs chinois en infrastructures, également. 

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