“Lutte africaine contre le terrorisme, où est le soutien occidental ?”, par Abdi Yusuf

Dans un article publié par l’ITCT*, think tank basé au Royaume-Uni, l’analyste et expert en contre-terrorisme et jihadisme islamiste, Abdi Yusuf**, montre le nexus « séparatisme-terrorisme » à partir d’éléments objectifs désormais connus et reconnus internationalement.  

Le chercheur Abdi Yusuf commence par affirmer que le redéploiement des troupes américaines en Somalie est une décision bienvenue. Cependant, il insiste sur le fait que l’Afrique dans son ensemble lutte pour faire face aux menaces terroristes croissantes, et que le continent africain est un nouveau front clé dans la lutte contre le terrorisme. Ainsi, il défend l’idée selon laquelle l’élimination de ces menaces exige une implication accrue des États-Unis et de leurs alliés, qui doivent s’associer aux forces locales et s’engager à assurer une présence militaire américaine durable sur le terrain. Pour cela il va illustrer et argumenter sa démarche au moyen de faits avérés et d’analyse du terrain ou plutôt des différents terrains et groupes salafi-jihadistes en présence en Afrique et leurs modes opératoires. 

Il commence par reprendre les affirmations de Stephen Townsend, le plus haut gradé militaire américain en Afrique, selon lequel « le terrorisme meurtrier s’est métastasé en Afrique ». Townsend a également ajouté que les terroristes en Afrique « restent des menaces graves et croissantes qui aspirent à tuer des Américains tant là-bas que dans notre pays ». Par conséquent, affirme Abdi Yusuf, si les États-Unis veulent réduire les menaces de terrorisme tant sur leur territoire qu’à l’étranger, ils doivent s’associer aux nations africaines et réaffirmer leur détermination commune à combattre les organisations terroristes, où qu’elles se trouvent. 

L’expert en contre terrorisme, rappelle que c’est la chute du « califat » de l’État islamique (ISIS) qui a contraint nombre de ses combattants à fuir en Afrique, accélérant l’émergence de l’Afrique comme épicentre mondial des organisations terroristes. Les activités jihadistes se sont rapidement développées sur le continent, notamment dans toute l’Afrique subsaharienne. Des combattants et diverses Wilaya ( » provinces « ) de l’État islamique sont apparus d’ouest en est, du sud au nord, du Sahara au Sahel et même du centre du continent.

Cartographie des groupes terroristes

En Afrique de l’Ouest, Boko Haram et le prétendu État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), qui s’est séparé du premier, ont tué et enlevé des centaines de personnes, pillé à grande échelle et mené de nombreuses attaques effroyables au Nigeria.

Dans l’est, Al-Shabaab, lié à Al-Qaida, et Abnaa ul-Calipha, lié à ISIS, terrorisent la région, tuant des centaines de personnes, aussi bien des locaux que des Américains. Au milieu de l’année 2022, Al-Shabaab a intensifié ses attaques à travers la Somalie, assassinant 30 soldats burundais qui faisaient partie des forces de maintien de la paix de l’Union africaine. De nombreux experts en sécurité affirment que le retrait des troupes américaines de Somalie a permis à Al-Shabaab de sortir de la clandestinité, de se mobiliser et de mener à bien cette offensive.

Dans le sud, l’Ahlu Sunna wal-Jama, allié à ISIS et localement connu sous le nom d’Al-Shabaab (sans lien avec l’organisation basée en Somalie), a brièvement occupé deux villes riches en pétrole dans le nord du Mozambique en 2021. Al-Shabaab terrorise les communautés locales depuis bien plus longtemps, attaquant des villages le long de la frontière entre le Mozambique et la Tanzanie depuis 2017.

Dans le nord, l’un des groupes les plus proéminents opérant dans la région est Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), une branche d’Al-Qaïda fondée en Algérie en 1998, anciennement connu sous le nom de « Groupe salafiste pour la prédication et le combat » (GSPC). De nombreux dirigeants d’AQMI sont des jihadistes arabes algériens. Après avoir combattu en Afghanistan et en Irak, ils sont revenus déterminés à mettre en œuvre la vision d’Al-Qaida chez eux. Pour accroître leurs capacités, le groupe courtise les sécessionnistes locaux, ce qui conduit à des alliances de circonstance avec ceux qui ont des idéologies différentes.

polisario/AQMI, ADF/EI ou le nexus séparatisme/terrorisme

Alors qu’AQMI s’était auparavant allié à des milices locales et à des groupes tribaux au Mali, il coopère désormais avec le front polisario qui conteste la souveraineté du Maroc sur le Sahara, démontrant le lien pratique et commode entre les mouvements séparatistes et les groupes terroristes. En 2011, il est apparu clairement que certains de ses membres avaient coopéré avec AQMI pour le trafic de « drogues, d’armes et de produits et denrées humanitaires ». Ce lien, nexus entre le groupe séparatiste et le terrorisme est favorisé par la proximité, puisque le siège du polisario est basé dans les camps de Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie, près des zones d’opération d’AQMI.

Bien que le polisario se définisse comme essentiellement nationaliste et laïc, il travaille fréquemment aux côtés de groupes islamistes comme AQMI ou le Hezbollah soutenu par l’Iran, le groupe extrémiste chiite qui aurait récemment établi des « camps d’entraînement » à Tindouf, déclare Abdi Yusuf.

Un exemple notable du nexus séparatisme-terrorisme est celui d’Adnan Abu Walid al- Sahrawi, l’ancien chef de l’État islamique dans le Grand Sahara, affilié à ISIS, qui a été tué par les forces françaises en août 2021. Initialement, al-Sahrawi avait rejoint le polisario puis il est passé au Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), groupe salafi-jihadiste notoire.

En Afrique centrale, les Forces démocratiques alliées (ADF), qui ont été fondées en Ouganda en 1995 par une coalition de rebelles pour lutter contre le régime de Yoweri Museveni, ont récemment rejoint la province d’Afrique centrale de l’État islamique. L’ADF a intensifié ses attaques dans les zones frontalières entre la RDC et l’Ouganda. Fin 2020, le groupe a attaqué une prison à Beni, dans l’est de la RDC, libérant plus de 1 300 combattants. Selon les autorités mozambicaines, les ADF ont recruté des combattants au Mozambique, en Tanzanie, au Kenya et en Ouganda.

Mode opératoire des groupes salafi-jihadistes

Dans toute l’Afrique, les groupes terroristes visent à accomplir trois choses : Établir des foyers de terrorisme, recruter et radicaliser la population locale et acquérir un territoire non contrôlé à partir duquel ils peuvent opérer et sur lequel ils peuvent s’entraîner, planifier, collecter des taxes et gouverner. Abdi Yusuf relaye la théorie de Vincent Foucher, expert de l’extrémisme islamiste, qui affirme que pour ces organisations, l’Afrique subsaharienne est le seul endroit où les groupes terroristes peuvent obtenir des résultats importants avec un « investissement minimal », puisque des organisations comme ISIS peuvent détenir des milliers de kilomètres carrés de territoire sur lesquels créer des bases.

L’Afrique n’est pas étrangère à l’hébergement de telles organisations terroristes, rappelle l’expert en contre-terrorisme. Il existe des zones sur tout le continent où les terroristes peuvent facilement se cacher parmi les habitants, en exploitant la faiblesse des systèmes de sécurité et des forces militaires du continent. En général, les forces africaines n’ont pas la capacité d’utiliser la « puissance aérienne, les armes de précision et les véhicules blindés » indispensables pour combattre ISIS. Les forces de défense du Mozambique, « largement considérées comme corrompues, mal entraînées et mal équipées », en sont un exemple, soutient-il. Ces forces n’ont pas réussi à contenir Al-Shabaab, affilié à ISIS, qui opère dans la partie nord du pays.

L’état actuel de l’Afrique s’avère malheureusement idéal pour le recrutement et la radicalisation, déplore Abdi Yusuf :”Tant Al-Qaeda qu’ISIS et leurs affiliés ont récemment recruté des Africains. En Somalie, par exemple, Al-Shabaab (affilié à Al-Qaïda) « compte désormais 12 000 combattants et peut générer jusqu’à 10 millions de dollars de revenus par mois », selon une estimation datant de février 2022”.

Les ADF en RDC recrutent également des combattants en Ouganda, au Kenya et en Tanzanie. L’ISWA a également recruté des Africains, des images montrant le groupe apparemment en train d’entraîner des garçons et de les amener à exécuter des ennemis capturés.

En outre, les affiliés d’ISIS et d’Al-Qaida contrôlent de vastes étendues de territoire sur le continent. ISWA, par exemple, illustre Abdi Yusuf, opère dans la région du Liptako-Gourma au Sahel, qui comprend des parties du Burkina Faso, du Mali, du Niger et du nord-est du Nigeria. De son côté, Al-Shabaab contrôle de vastes étendues du sud de la Somalie. Selon des responsables américains, écrit Abdi Yusuf, ISIS exploite les « griefs locaux » dans leur environnement et « commence à recruter sur cette base », augmentant ainsi les effectifs du califat.

En résumé, l’Afrique revêt une importance géopolitique significative pour les organisations djihadistes. La tendance actuelle montre que les organisations terroristes du continent se sont renforcées, étendant leur présence, forgeant des alliances avec des mouvements séparatistes et intensifiant leurs attaques contre les alliés et les intérêts des États-Unis. Sans une pression internationale constante, les organisations terroristes fuyant le Moyen-Orient (et d’autres endroits) sortiront de leur clandestinité, réorganiseront leurs combattants et recruteront des forces supplémentaires pour commencer à mener des attaques à travers le continent, nuisant à des alliés clés des États-Unis et portant atteinte à leurs intérêts fondamentaux. Pour relever ces défis en matière de sécurité, le continent a besoin du soutien des États-Unis et de la communauté internationale. A défaut, les efforts durement menés par les États-Unis pour prévenir et vaincre le terrorisme mondial seront compromis, conclut Abdi Yusuf.

*L’ITCT (Islamic Theology of Counter Terrorism [NDLR : Théologie islamique du contre-terrorisme]) est un groupe de réflexion (Think Tank)  sur le contre-terrorisme basé au Royaume-Uni,  apolitique et non lucratif. Ses principaux objectifs sont de contrer la menace du terrorisme islamiste, d’éduquer la communauté musulmane sur les dangers de l’idéologie radicale et de fournir des solutions pratiques pour la déradicalisation et les questions de sécurité.

**Abdi Yusuf est chercheur en questions internationales, avec une spécialisation en contre-terrorisme et résolution de conflits. Il est né et a grandi en Somalie. C’est également un auteur indépendant basé à Nairobi, au Kenya. Il a été bénévole à l’Institut international de contre-terrorisme, a contribué à la rédaction d’articles pour Africanexus et Foreign Policy, et est co-auteur de « How Do Terrorist Organizations Make Money ? Terrorist Funding and Innovation in the Case of al-Shabaab ».

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