Sous les voûtes du Collège des routes, canaux et ports de Madrid, le vieux rêve d’unir l’Europe et l’Afrique sous les eaux du détroit de Gibraltar a retrouvé, le 20 octobre, une vigueur nouvelle. Une journée technique, placée sous le thème «Tunnel pour le lien fixe Europe–Afrique. Détroit de Gibraltar», a réuni les plus éminents spécialistes marocains et espagnols autour d’un dessein à la fois colossal et fondateur : édifier le tunnel sous-marin le plus audacieux jamais conçu sur le continent européen.
Organisée par le groupe de travail sur l’ingénierie du futur, cette rencontre a permis de confronter les visions, d’affiner les études de faisabilité et de sonder les énigmes géologiques du détroit. En ouvrant les débats, la doyenne de Caminos Madrid, Lola Esteban, a souligné «l’importance de penser les grandes œuvres d’ingénierie qui traceront les lignes de l’avenir.»
Un chantier sous la mer, aux confins de la géologie et du génie
Les ingénieurs ont convenu que «le projet est techniquement viable», tout en reconnaissant l’immensité des défis géotechniques. Le schéma actuel prévoit deux tunnels ferroviaires à voie unique — l’un destiné aux passagers, l’autre aux marchandises — accompagnés d’une galerie de service et de sécurité. Sous quatorze kilomètres d’eaux et de roches, la future infrastructure atteindrait une profondeur vertigineuse de 475 mètres permettant de relier Tarifa à Tanger en une demi-heure. Avant cela, une galerie de reconnaissance sous-marine, longue de plusieurs kilomètres, devra être creusée pour étudier la composition des sols : un ouvrage préparatoire qui pourrait requérir entre six et huit années de travaux.
Les experts ont, par ailleurs, annoncé que la gare terminale espagnole serait déplacée à Vejer de la Frontera, un site stratégique au cœur du futur corridor ferroviaire euroméditerranéen, voué à relier durablement les deux rives de la Méditerranée.
La relance d’un rêve ancien et la promesse d’un nouvel âge économique
Depuis sa relance officielle en 2023, le projet a franchi une étape décisive avec l’ouverture des études de préfaisabilité, d’une durée de trois ans, destinées à réviser les paramètres techniques, environnementaux et économiques d’une œuvre appelée à métamorphoser la mobilité intercontinentale. Les ingénieurs ont rappelé que «le détroit de Gibraltar, deuxième passage maritime le plus fréquenté du globe, constitue un défi d’ingénierie sans précédent, mais aussi une chance unique de tisser un lien pérenne entre l’Europe et l’Afrique.»
Ce rêve, ont-ils ajouté, plonge ses racines dans la mémoire des civilisations : pour les Grecs et les Romains, le détroit marquait les confins du monde connu, gardé par les colonnes d’Hercule ; les chroniqueurs arabes du Moyen Âge évoquaient déjà la possibilité d’un passage reliant les deux continents.
Aujourd’hui, ce symbole mythique se concrétise dans les plans et les simulations numériques. Le Maroc, fort de ses récentes infrastructures — train à grande vitesse, port de Tanger Med, zones franches industrielles —, prépare le terrain d’une Afrique ouverte sur l’Europe. Du côté espagnol, le Campo de Gibraltar s’impose comme le futur nœud d’articulation du réseau ferroviaire européen vers le sud.
Les organisateurs ont résumé l’esprit de cette entreprise en affirmant que «la liaison fixe entre l’Europe et l’Afrique ne se contentera pas de transformer la mobilité : elle portera un élan économique, social et civilisationnel qui marquera durablement les deux continents.»