À Safi, une étude scientifique démontre la contamination étendue des sols et des plantes par les métaux lourds issus des activités du phosphate, du ciment et des décharges urbaines

Dans une publication parue dans Scientific Reports (vol. 15, art. 38125), une équipe de chercheurs de l’Université Cadi Ayyad (UCA) met en évidence la présence préoccupante de cadmium, de plomb, de chrome, de cuivre et de zinc dans les sols et les végétaux des zones urbaines et suburbaines de Safi. Ces éléments toxiques, issus pour une large part des activités industrielles locales – usines de traitement du phosphate, cimenterie, décharge urbaine – s’accumulent dans les sols, s’infiltrent dans la chaîne alimentaire et menacent la santé des habitants. L’étude établit une cartographie précise des sites les plus contaminés et démontre, à partir de mesures physico-chimiques et biologiques détaillées, le transfert des métaux depuis le sol jusqu’aux plantes. Les auteurs préviennent que «les activités industrielles en milieu urbain constituent une source potentielle de contamination susceptible de présenter un risque réel pour la santé humaine».

Une étude conduite par Btissam Mandri, Hicham El Khalil, Ali Boularbah et Mandri Btissam, publiée le 30 octobre 2025 dans Scientific Reports (vol. 15, article 38125, Université Cadi Ayyad – UCA, Marrakech), décrit avec une précision rare la diffusion des métaux lourds dans les sols et les végétaux de la ville de Safi, au Maroc. Les auteurs observent que «les secteurs urbains et périurbains étudiés présentent des teneurs significatives en métaux traces comparativement à la zone témoin non contaminée». L’ordre décroissant des concentrations — «TP > UL > SF > CA» — traduit, selon eux, l’influence des zones industrielles : l’unité de traitement du phosphate (TP), la décharge urbaine non contrôlée (UL), la cimenterie (SF) et, à titre de référence, le secteur résidentiel de Sidi Bouzid (CA). Les chercheurs soulignent que «la pollution atmosphérique contribue notablement à la contamination des sols et des plantes prélevés autour des sites industriels», ajoutant que «les activités industrielles en milieu urbain constituent une source potentielle de contamination susceptible de présenter un risque réel pour la santé humaine».

Méthodologie et zones d’échantillonnage

Les auteurs rappellent que «la population mondiale devrait dépasser 9,5 milliards d’habitants d’ici 2050 et plus des deux tiers vivront en zones urbaines». Ils notent que «l’essor démographique s’accompagne d’une multiplication des activités humaines – industrielles, agricoles ou domestiques – libérant des polluants organiques et métalliques responsables de la dégradation des sols, de l’eau et de l’air». Les métaux traces tels que le cadmium (Cd), le cuivre (Cu), le chrome (Cr), le plomb (Pb) et le zinc (Zn) constituent, selon eux, «des éléments toxiques majeurs pour la flore, la faune et la santé humaine».

La ville de Safi, «centre industriel de la région Marrakech–Safi dont la population excède 691 983 habitants», abrite plusieurs complexes : «usines de traitement de phosphate destinées à la production d’acide phosphorique et d’engrais, carrières d’extraction minérale, cimenteries et industries agroalimentaires». Les chercheurs précisent que «le choix des sites d’étude a porté sur trois zones potentiellement polluées – une cimenterie (SF), une décharge non contrôlée (UL) et une unité de transformation du phosphate (TP) – comparées à une zone témoin non contaminée (CA)».

Ils ont «prélevé des échantillons de sol en surface (0 à 15 cm) à six distances progressives de la source supposée de pollution, le sol 1 étant le plus proche et le 6 le plus éloigné». Chaque prélèvement résultait d’un «mélange homogène de cinq sous-échantillons séchés, tamisés et analysés pour le pH, la conductivité, le carbone organique total, l’azote total et le phosphore assimilable». Les plantes, «communes aux quatre zones», comprenaient Eucalyptus globulus, Nerium oleander, Ficus carica, Medicago sativa, Sinapis arvensis L. et Carpobrotus edulis. Les échantillons ont été «séchés quarante-huit heures à 70 °C, broyés et soumis à une digestion acide», puis analysés par spectrométrie d’absorption atomique. Les chercheurs insistent sur «le contrôle de qualité assuré par des matériaux de référence certifiés, des doublons et des comparaisons interlaboratoires».

Ils ont également calculé deux indicateurs : le facteur de contamination (CF) et l’indice de charge polluante (PLI). Selon les auteurs, «un CF ≥ 6 traduit une contamination très forte», tandis qu’un PLI > 10 indique «une pollution élevée nécessitant une intervention immédiate».

Résultats physico-chimiques et teneurs en métaux préoccupants

Les chercheurs relèvent que «les sols de la zone témoin présentent un pH neutre, compris entre 7,0 et 7,3, une conductivité faible et une teneur modérée en carbone organique (14 à 18 g/kg)». À l’inverse, «les sols situés à proximité de la décharge (UL) et de l’usine de phosphate (TP) se distinguent par un pH alcalin pouvant atteindre 8,8 et une conductivité très élevée, jusqu’à 39,1 mS/cm». Dans ces zones, la matière organique atteint des valeurs exceptionnelles : «47,5 g/kg de carbone et 2,3 g/kg d’azote dans un sol voisin de la décharge». Les auteurs y voient «l’effet des apports organiques des déchets et des effluents».

En termes de métaux, «les sols de la zone témoin ne dépassent pas 0,1 mg/kg pour le Cd, 13 mg/kg pour le Cu, 19,1 mg/kg pour le Cr, 0,7 mg/kg pour le Pb et 32 mg/kg pour le Zn». Ces valeurs restent «nettement inférieures aux limites fixées par la Commission européenne et l’OMS». À l’opposé, «le sol 1 de la zone TP, au contact direct des installations industrielles, enregistre 1,8 mg/kg de Cd, 30,9 mg/kg de Cu, 102 mg/kg de Cr, 4,8 mg/kg de Pb et 148,7 mg/kg de Zn». Les concentrations moyennes décroissent à mesure que l’on s’éloigne de la source ; mais «même les sols distants demeurent plus chargés que ceux de la zone témoin».

Les chercheurs ajoutent que «les sols proches de la cimenterie (SF) présentent des concentrations plus faibles : 0,43 mg/kg de Cd, 24,3 mg/kg de Cr et 49 mg/kg de Zn au maximum». Quant à la décharge (UL), «les teneurs varient de 0,5 mg/kg de Cd à 88,9 mg/kg de Zn». Cette hiérarchie conduit à classer les sites selon la progression : «CA < SF < UL < TP».

Les auteurs signalent que «seuls le Cd et le Cr dépassent par endroits les valeurs guides internationales». Ils précisent que «les activités liées au phosphate et au ciment favorisent l’émission de poussières métalliques et de rejets liquides chargés en éléments traces», et que «les sols voisins de la décharge accumulent également des métaux provenant des déchets urbains».

Concernant les plantes, les résultats confirment cette gradation. Les végétaux prélevés à TP présentent «les teneurs les plus élevées, avec jusqu’à 0,4 mg/kg de Cd, 1,8 mg/kg de Cu, 2,0 mg/kg de Cr, 1,7 mg/kg de Pb et 19,9 mg/kg de Zn». À l’opposé, «les plantes de la zone témoin n’excèdent pas les seuils de détection pour le Cd et montrent des teneurs modestes pour les autres éléments».

Les chercheurs relèvent notamment que Sinapis arvensis L., abondante dans la région, «accumule des teneurs supérieures aux normes OMS pour le Cd (0,4 mg/kg)», tout comme Carpobrotus edulis (0,3 mg/kg). Ils notent aussi que Eucalyptus globulus, Nerium oleander et Ficus carica prélevés à TP présentent «des concentrations remarquables, notamment pour le Cu, le Cr et le Pb». La luzerne (Medicago sativa) montre «près de 1 mg/kg de Cu et de Cr et 0,96 mg/kg de Pb».

Les auteurs précisent que «les concentrations de Cd dans Eucalyptus globulus et Nerium oleander dépassent également les limites OMS (0,1 mg/kg)», et que «le Ficus carica, plante fruitière, présente des valeurs inférieures mais non négligeables». Ces résultats démontrent «le transfert effectif des métaux du sol vers la végétation et leur possible intégration dans la chaîne alimentaire».

Corrélations, bioaccumulation et évaluation du risque

L’étude établit «une forte corrélation positive (r = 0,63 à 0,98) entre la concentration moyenne des métaux dans les sols et celle observée dans les plantes». Cette relation traduit «une mobilité importante des éléments Cd, Pb et Zn, dont le facteur de bioaccumulation (BAF) atteint respectivement 0,9, 1,1 et 0,4 selon les espèces». Les plus fortes valeurs de BAF sont observées pour Eucalyptus globulus (Cd = 0,9) et Sinapis arvensis L. (Cd = 0,8) en zone SF, tandis que Medicago sativa et Ficus carica présentent «un BAF de 1,1 pour le Pb».

Les auteurs mentionnent que «des valeurs de BAF supérieures à 0,5 indiquent une contamination d’origine anthropique nécessitant une surveillance environnementale». Ils estiment que «la contamination observée résulte d’une pression urbaine et industrielle intense».

Le calcul du facteur de contamination (CF) montre que «les sols de TP présentent des valeurs comprises entre 1,7 et 6,3 selon les métaux, traduisant une pollution considérable», tandis que «ceux de UL et SF relèvent d’une contamination modérée à élevée». L’indice global (PLI) atteint «13,4 à SF, 17,1 à UL et 22,8 à TP», seuils définissant des zones «polluées par les métaux traces». Les auteurs précisent que «le site TP, avec un PLI de 22,8, se situe au-delà du niveau nécessitant des mesures préventives immédiates».

Ils indiquent également que «les métaux traces mesurés dans l’eau de rinçage des feuilles confirment la contribution de la pollution atmosphérique : les Eucalyptus et Ficus de TP contiennent jusqu’à 0,4 mg/L de Pb et 0,9 mg/L de Zn». Ces valeurs, ajoutent-ils, «représentent jusqu’à 40 % du plomb total mesuré dans les feuilles».

Enfin, les auteurs ont mesuré l’activité phosphatasique des feuilles, indicateur de stress biologique. Ils constatent que «l’activité enzymatique décroît proportionnellement à la contamination métallique : de 0,6–2,5 µmol Pi min⁻¹ g⁻¹ dans la zone témoin à 0,3–0,9 µmol Pi min⁻¹ g⁻¹ dans la zone TP». Cette diminution témoigne «de la perturbation métabolique induite par le cuivre, le plomb et le zinc».

Les chercheurs concluent que «les sols et les plantes des zones urbaines et suburbaines de Safi subissent une pression anthropique majeure liée aux activités industrielles» et que «la contamination mesurée, bien qu’inférieure aux seuils d’alerte internationaux pour certains métaux, représente une menace à long terme pour la santé publique, l’agriculture urbaine et l’équilibre écologique régional».

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