Ahmed Touizi découvre la fraude dans la farine, mais conclut qu’il faut punir les ménages modestes plutôt que les opérateurs véreux

Aziz Akhannouch a disparu des radars, mais sa majorité déconnectée des réalités sévit encore. Sous couvert de dénoncer la corruption dans le secteur du blé, le chef du groupe du Parti authenticité et modernité (PAM), Ahmed Touizi, a défendu devant la Chambre des représentants une idée aux conséquences autrement plus lourdes : remplacer la subvention publique de la farine par une aide directe en espèces. À la lisière de l’image spectaculaire de minoteries «qui broient du papier» se dessine une rhétorique libérale qui, au nom de la rationalisation et de l’efficacité, menace le dernier rempart social protégeant les foyers modestes contre la cherté du pain. En se présentant comme pourfendeur des abus, l’élu du PAM s’attaque, en substance, à l’un des rares dispositifs encore garants d’un minimum de justice alimentaire dans un pays éprouvé par l’inflation et la contraction du pouvoir d’achat.

La scène parlementaire a été secouée par les propos (inattendus) d’Ahmed Touizi, président du groupe du Parti authenticité et modernité (PAM, majorité) à la Chambre des représentants. Celui-ci a affirmé que certaines entreprises de meunerie «ne broient que du papier», tout en absorbant un soutien public estimé à seize milliards de dirhams. Derrière cette image spectaculaire, censée exposer la fraude et la déperdition des fonds publics, s’est matérialisée une intention d’une tout autre nature, confirmant la nature d’un gouvernement en fin de cycle : celle de mettre fin à la subvention de la farine destinée aux plus démunis, au nom d’une prétendue équité sociale.

Du scandale des minoteries à la remise en cause du soutien alimentaire

Depuis quand ? Au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 2026, devant la commission des finances et du développement économique, M. Touizi a déclaré que «le pain des pauvres est devenu impropre à la consommation», estimant que «le système du soutien à la farine doit être remplacé par une aide directe en espèces». Il a proposé que «l’État accorde cinq cents dirhams, ou plus, à chaque ménage afin qu’il puisse acheter le sucre et la farine à leur prix réel».

Cette argumentation, présentée comme un plaidoyer pour la justice distributive, repose sur l’idée que «les riches profitent essentiellement du Fonds de compensation que les pauvres». Or, de nombreux observateurs ont relevé que cette logique, sous des dehors moralisateurs, reproduit mot pour mot les discours ayant précédé la libéralisation du marché des carburants et des huiles alimentaires – réformes qui ont, dans les faits, creusé les inégalités, provoqué la hausse des prix, aggravé la vulnérabilité des ménages et mis à nu des scandales retentissants.

L’opposition, elle, a souligné que «l’expérience a montré que la suppression du soutien ne profite qu’aux entreprises et aux spéculateurs tandis que le nombre de pauvres s’accroît et que la classe moyenne s’effondre». Lors des débats, plusieurs députés, dans une formule sans ambages, ont noté que «[leur collègue] du PAM ne condamne pas les lobbies de la farine, il plaide pour la dérégulation du marché du pain».

Une rhétorique sociale au service d’une idéologie libérale

Derrière le ton indigné de M. Touizi, se profile une conception économique interlope chère à Aziz Akhannouch, qui tend à substituer la logique du marché à celle de la solidarité nationale. Une source proche du dossier indique que «le danger ne réside pas dans le fait de moudre du papier, mais dans l’argument qui conduit à supprimer le soutien public au profit d’une aide directe illusoire». Selon elle, «les précédentes vagues de libéralisation ont surtout enrichi les sociétés dominantes et leurs relais, tout en appauvrissant le plus grand nombre». Le propos critique avance encore que «le député du PAM ne défend pas le pain des pauvres, il milite pour la libération de son prix», avant de constater que «sous le vernis social se devine la permanence d’une pensée économique qui considère le marché comme l’unique régulateur de la vie nationale». L’analyse se fait plus sévère encore lorsqu’elle observe que «l’intervention de Touizi illustre la fusion de la richesse et de l’autorité, du sommet de la pyramide à ses instruments fonctionnels».

Le mirage du soutien direct et l’épreuve du réel économique

Le dispositif du soutien direct, dont se réclament désormais plusieurs responsables politiques, a déjà révélé ses limites structurelles. Depuis la libéralisation du marché des carburants, les transferts monétaires, très fluctuants, n’ont jamais compensé la flambée des prix provoquée par l’abandon des subventions. Les montants distribués, souvent dérisoires, se sont trouvés rapidement absorbés par l’inflation, tandis que la valeur réelle de l’aide diminuait mois après mois.

Plusieurs rapports font prévaloir que «l’argent distribué ne saurait remplacer la stabilité des prix garantie par la régulation publique». Les politiques de soutien direct, censées cibler les plus pauvres, ont souvent abouti à une dépendance administrative sans redressement réel du pouvoir d’achat. Les économistes observent que «la libéralisation des produits de base, loin d’assainir le système, a surtout permis une concentration accrue des profits et une fragilisation continue des ménages».

À un an des élections, la proposition de M. Touizi serait plutôt un glissement idéologique où la responsabilité sociale de l’État cède la place à la main invisible du marché. Le projet politique déclinant de la majorité s’attache à un désengagement progressif, au risque de rendre le pain – symbole du quotidien populaire – plus inaccessible que jamais. La secousse de la GenZ se fait encore sentir.

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