Au Maroc, une activité foisonnante de collecte météoritique qui oriente les trajectoires professionnelles rurales et accroît l’intérêt des chercheurs pour les fragments lunaires et martiens

Dans le sud-est du royaume, la chute d’un bolide en septembre a remis en mouvement des dizaines de chercheurs, souvent modestes, qui arpentent les reliefs pierreux dès qu’une rumeur circule. Selon Bloomberg, le Maroc est devenu une terre privilégiée pour les chutes observées au cours des deux dernières décennies. L’agence cite longuement la professeur Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, spécialiste de météoritique à l’université Hassan-II de Casablanca, selon laquelle «le pays a rapporté plus de chutes que n’importe quel autre territoire depuis vingt ans et près de la moitié des publications scientifiques consacrées aux météorites s’appuient sur des trouvailles marocaines».

Un marché florissant, des prix élevés et une législation spécifique

Dans son enquête, Bloomberg rapporte que, dans un commerce fragmenté et dépourvu de cadre mondial cohérent, les transactions, difficiles à quantifier, vont de fragments vendus «pour quelques centaines de dollars sur des sites commerciaux» à des pièces «atteignant plusieurs millions lors de ventes organisées par des maisons prestigieuses». L’agence relève que le Maroc, pays de quelque 38 millions d’habitants, a facilité l’exportation pour les détenteurs de licences dans le cadre d’une politique destinée à offrir de nouvelles ressources aux zones reculées dont les activités traditionnelles sont affaiblies par les bouleversements climatiques.

Toujours selon Bloomberg, l’économiste Samira Mizbar expliquait que ce qui fut longtemps «un passe-temps et un élément du patrimoine local» est devenu «une activité extractive à part entière». L’agence souligne que les météorites se fragmentent fréquemment dans l’atmosphère ou se brisent au sol, que seule une fraction infime est retrouvée et que l’immense majorité tombe dans les océans ou dans des contrées isolées.

Leur valeur, rappelle Bloomberg, dépend de l’origine dans le système solaire, de l’ancienneté de la chute et de l’état de conservation, l’exposition prolongée aux conditions terrestres pouvant altérer les échantillons. L’agence précise que la plupart des fragments retrouvés au Maroc proviennent «d’astéroïdes, de la Lune ou de Mars» et contiennent «du cobalt, du fer et du nickel», des éléments qui les rendent reconnaissables grâce à un simple aimant. S’y ajoutent, écrit encore Bloomberg, des chondrites carbonées «riches en eau, en soufre et en composés organiques» ainsi que des types plus rares «qui ont élargi la connaissance de la composition de la ceinture d’astéroïdes», selon le directeur de l’Observatoire du Vatican, Guy Consolmagno.

Bloomberg insiste sur le rôle déterminant du climat désertique marocain, qui «protège les fragments et rend leur identification plus aisée». L’agence rappelle que les premières découvertes recensées remontent à 1932, mais que l’activité s’est accrue en 2011 avec la chute spectaculaire observée dans la vallée de l’Oued Drâa, lorsque «des nomades ont récupéré des fragments revendus à des intermédiaires». Le musée d’histoire naturelle de Londres, note Bloomberg, acquit alors un fragment de 1,1 kg «pour 330 000 livres avec l’aide d’un donateur anonyme», tandis que la fondation Attarik de Chennaoui conserve «un fragment de sept grammes estimé à 7 000 dollars».

Une ‘ruée vers l’espace’ et un cadre réglementaire inédit

Selon Bloomberg, la professeur Chennaoui qualifie l’année 2020 de «ruée vers l’or» céleste. Cette année-là, le gouvernement mit en place un système permettant aux chasseurs licenciés d’exporter ou de vendre jusqu’à «90 % de leurs découvertes, en fonction du poids, après enregistrement auprès de la direction de la géologie», l’État conservant le reste pour les archives scientifiques. Les licences, rapportait l’agence, «sont gratuites et réservées aux résidents, quelle que soit leur nationalité». Certains chasseurs organisent même «des expéditions pour visiteurs étrangers». Toujours selon Bloomberg, le Maroc dispose désormais de règles «de loin les moins restrictives parmi les pays riches en météorites», quand les États voisins les interdisent ou s’en tiennent à un vide juridique.

L’affaire d’un fragment présenté comme «la plus grande pièce martienne jamais mise en vente», qui atteignit «5,3 millions de dollars frais compris» lors d’une adjudication à New York, incita le Niger à ouvrir une enquête, rapporte Bloomberg, les autorités soupçonnant un départ non conforme assimilable à un trafic.

Dans son enquête, Bloomberg souligne que la direction de la géologie, rattachée au ministère de la transition énergétique et du développement durable, n’a pas souhaité communiquer le nombre de licences ou de fragments enregistrés, la professeure Chennaoui rappelant que «le circuit officiel ne capte qu’une part infime du commerce réel». Elle estime néanmoins que la réglementation atteint «un équilibre satisfaisant entre les acteurs» tout en exprimant l’espoir de voir apparaître «un système de certification capable de réduire l’activité souterraine en augmentant la valeur des pièces déclarées».

Toujours selon Bloomberg, le directeur du Field Museum de Chicago, Philipp Heck, fait observer que la valeur des météorites «a progressé de manière considérable depuis plusieurs décennies». Un gramme de roche lunaire se négocierait «au-delà de 100 dollars», tandis qu’un gramme martien s’élèverait «au-delà de 1 000 dollars».

Entre précarité, espoirs de fortune et récits populaires

Dans les villes et villages des confins orientaux, Bloomberg décrit l’existence de «centaines de boutiques de fossiles et de météorites» et cite notamment l’homme d’affaires Faouzi Chaabi (Ynna Holding), passionné par la préservation du patrimoine naturel marocain, qui déclarait que «des cargaisons entières de météorites et de fossiles quittaient le pays sans contrôle il y a quelques décennies», une situation qui, disait-il, «le peinait profondément». À propos de la chute de septembre, Bloomberg décrit une «vaste battue menée avec des appareils GPS et des aimants puissants» sur près de 30 miles autour du Jbel Ayachi. Rachid Adnane, élu de Midelt, confiait à l’agence que «cette activité exceptionnelle attire visiteurs et devises et que chacun y trouve son compte».

L’agence rapporte que des habitants pauvres — bergers, marchands ambulants, intermédiaires — se joignent régulièrement aux chercheurs professionnels. Dans la ville de Midelt, Bloomberg cite Said Jagouj, 70 ans, qui tient une échoppe consacrée aux fossiles et aux météorites, assurant que «la population est démunie» et que «hormis la culture des pommes et les météorites, il n’existe guère d’autres moyens de subsistance».

Bloomberg mentionne également les récits populaires de la région de Midelt, Erfoud et Errachidia, où circulent des histoires de chasseurs qui auraient bâti hôtels ou plantations de dattiers grâce à un fragment exceptionnel. Pour sa part, Benitjit expliquait à Bloomberg qu’en quinze années de quête, sa meilleure découverte lui rapporta «1 500 dirhams en 2018».

L’agence conclut en rapportant que, devant sa modeste table au marché hebdomadaire d’Enzala, Benitjit exhibait une pierre soigneusement enveloppée de 250 grammes qu’il estimait «à 1 200 dollars», ajoutant, émerveillé, «qu’elle venait de la Lune».

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