Depuis les tumultes des années 1970, la relation entre le Maroc et l’Algérie se déploie comme un palimpseste géopolitique où se superposent mémoire historique, ambitions industrielles et stratégies idéologiques, dessinant une frontière plus que physique qui cristallise des divergences profondes de visions du pouvoir et du droit. Tandis que Rabat ancre ses prétentions dans la continuité historique et le droit coutumier, Alger, oscillant entre rhétorique révolutionnaire et intérêts stratégiques sous-jacents, multiplie les paradoxes et manipulations diplomatiques, offrant ainsi à l’observateur un spectacle de tensions larvées et de dépenses militaires incontrôlables.
En Algérie, un mot courait depuis les années 1970 : la frontière avec le voisin occidental serait aussi idéologique. Ce postulat traduisait l’incapacité chronique du régime d’Alger à concevoir sa relation avec le Maroc autrement qu’à travers le prisme de la rivalité. L’idée d’une frontière « idéologique » illustrait, au fond, la fracture de deux visions du monde : l’une enracinée dans la monarchie millénaire et la légitimité historique, l’autre figée dans un projet révolutionnaire en quête de validation extérieure.
Petite anecdote : en 1975, l’Algérie présidait le mouvement des non-alignés ; en 2025, elle siège au Conseil de sécurité. Entre ces deux dates, elle a pourtant échoué à entraver l’intégrité territoriale du Maroc. Que cherche donc la dictature algérienne ? Un débouché sur l’Atlantique pour évacuer à moindres frais le minerai de fer de Tindouf ? Raté, même pour la société mixte chargée de l’exploitation du gisement de Tindouf.
Les prémices d’une confrontation larvée
L’Algérie répétait à tue-tête qu’elle n’entretenait aucune revendication territoriale sur le Sahara. Le gouvernement espagnol avait averti qu’il recourrait à la force armée pour s’opposer à la marche projetée par le roi Hassan II. Le président Boumediène inspecta alors les troupes algériennes stationnées dans le secteur de Béchar, près des frontières marocaines, où le déploiement d’effectifs et de blindés s’intensifia dès l’annonce, le 21 octobre 1975, de la Marche verte par le souverain chérifien. Cette montée des tensions marquait un tournant. Tandis que Rabat affirmait la continuité historique de ses droits, Alger s’enfermait dans une posture de dénégation, oscillant entre discours incendiaires et manœuvres de confrontation.
La clarté marocaine face aux ambiguïtés algériennes
À Rabat, les positions étaient limpides : «Les juges [de la Cour internationale de justice de La Haye] ont tranché : ils ont reconnu que les tribus du territoire avaient des liens d’allégeance avec le roi du Maroc. Ils ont affirmé que la Mauritanie possédait, elle aussi, des droits juridiques sur cette région. Pour nous, la cause est entendue : dans le droit marocain, allégeance signifie et a toujours signifié souveraineté. Le fait que la Cour de La Haye ait cru devoir interpréter les éléments historiques constatés, et qu’elle ait ajouté un paragraphe pour recommander l’application de la procédure d’autodétermination, ne peut être pris en considération. Elle n’avait pas à s’engager sur le terrain politique.» Cette déclaration ne laissait place à aucune ambiguïté. Le Maroc affirmait avec constance la légitimité de ses droits, fondés sur l’histoire et le droit, tandis que l’Algérie dissimulait mal son agitation diplomatique derrière une rhétorique prétendument anticoloniale.
L’été 1975, prélude aux faux-semblants
«Le Maroc ne conçoit la pleine autonomie du Sahara occidental qu’intégrée au royaume.» L’été 1975 en annonçait déjà la couleur. L’Algérie avait, dit-on, officialisé «sa renonciation à toute prétention sur le Sahara occidental.» Alger et Rabat s’étaient même accordés pour pérenniser «les fondements de la sécurité et de la coopération qui sera à n’en pas douter bénéfique pour cette région vitale du Maghreb arabe» et s’étaient donné pour objectif commun de «mettre fin le plus vite possible à l’occupation espagnole.» L’Algérie avait même mis en avant «la compréhension mutuelle entre les deux pays frères, le Maroc et la Mauritanie, à propos de la région.» Cette apparente entente n’était pourtant qu’un trompe-l’œil. Dans l’ombre des déclarations fraternelles, Alger préparait un retournement spectaculaire.
Quelques semaines plus tard, coup de théâtre : en novembre 1975, le F.L.N. menaça la monarchie marocaine «d’anéantissement» par «une avant-garde révolutionnaire.» Ce brusque changement de ton révélait la duplicité d’un régime incapable d’assumer sa stratégie. Le masque du non-alignement tombait, laissant paraître une volonté de confrontation totale.
L’analyse lucide d’Abderrahim Bouabid
Abderrahim Bouabid, premier secrétaire historique de l’Union socialiste des forces populaires, faisait alors preuve d’une lucidité désarmante : «Les Algériens veulent devenir une grande puissance industrielle et jouer un rôle prépondérant dans toute l’Afrique. Les richesses du sous-sol saharien, notamment le gisement de fer de Gara-Djebilet, constituent l’un des moyens de cette politique. En soutenant la thèse espagnole, en brandissant le principe de l’autodétermination, les Algériens espèrent que le petit État ainsi créé se trouvera, un jour ou l’autre, sous leur dépendance. Cela permettrait à l’Algérie d’exploiter son minerai de fer dans de meilleures conditions, tout en contrôlant les gisements de phosphate de Boucrâa. Une telle solution favoriserait aussi l’influence algérienne sur la Mauritanie.»
C’est pour cela, confesse M. Bouabid, «qu’ils vont demander aux Espagnols de rester au Sahara le temps de préparer la naissance d’une nouvelle entité protégée par eux. Pour nous, les choses sont claires. Le fait, pour l’Algérie, d’héberger le Polisario, de l’armer, de l’entraîner, de lui faciliter les contacts avec les missions de l’ONU, témoigne d’une hostilité ouverte aux revendications du peuple marocain. Si l’Algérie n’avait aucune ambition sur ce territoire, la moindre des choses aurait été de respecter une stricte neutralité. Mais l’Algérie ne peut pas armer nos adversaires et dire qu’elle n’a pas d’ambition sur le Sahara occidental.»
Ainsi se refermait, dès 1975, le piège d’une politique algérienne fondée sur la contradiction : nier toute prétention tout en alimentant la discorde. Ce paradoxe, devenu ligne de conduite, est maintenant à l’agonie, surtout depuis le 31 octobre.