Des documents syriens déclassifiés accablent le Polisario : des combattants séparatistes intégrés aux forces de Bachar al-Assad dès 2012

Depuis l’effondrement du régime syrien à la fin de l’année 2024, la divulgation progressive des archives des services de renseignement de Damas dévoile un entrelacs de complicités stratégiques d’une rare gravité. Au cœur de ce réseau souterrain : des éléments séparatistes enrôlés dans les forces supplétives pro-Assad, aujourd’hui détenus par les nouvelles autorités syriennes. L’un des documents clefs, revêtu de la mention très secret et daté de janvier 2012, atteste d’un accord tripartite entre la République arabe sahraouie démocratique, les services algériens et le gouvernement syrien. Ce protocole, adressé au chef du bureau 279 — la direction extérieure du renseignement syrien — détaille la constitution de quatre groupes sahraouis, soit 120 hommes, destinés à être intégrés dans l’appareil militaire syrien.

Depuis l’effondrement du régime de Bachar al-Assad à la fin de l’année 2024, les verrous de la censure sécuritaire se brisent en Syrie. L’ouverture partielle des archives des services de renseignement, désormais entre les mains de la nouvelle autorité de transition, révèle une orchestration méthodique de soutiens étrangers, longtemps occultée. Parmi les pièces versées aux dossiers de la commission d’investigation, certaines attestent de la participation de combattants sahraouis aux opérations militaires du régime déchu.

Ces hommes, aujourd’hui détenus par les forces de sécurité syriennes reconstituées, sont désignés comme d’anciens membres de la milice armée du Front Polisario. Cette révélation, rapportée par Jeune Afrique et confirmée par une enquête du Washington Post publiée le 12 avril, contredit les dénégations catégoriques du mouvement séparatiste. Le journal américain évoque un contingent sahraoui intégré à une structure militaire mise en place par Téhéran, dont l’objectif consistait à soutenir le pouvoir syrien par l’intermédiaire de formations paramilitaires importées.

Un schéma tripartite : Téhéran, Damas, Tindouf

Selon deux sources européennes citées dans le même article, ces combattants séparatistes ont facilité l’enracinement du Hezbollah libanais ou des milices chiites irakiennes au Levant. Les modalités de cette alliance sont détaillées dans plusieurs documents classés très secret, datés de 2012, découverts dans les fonds de la Direction générale du renseignement extérieur syrien (branche 279). Jeune Afrique affirme en détenir une copie.

L’un des rapports, adressé au chef du bureau 279, expose les termes d’un accord conclu entre la République arabe sahraouie démocratique, les autorités algériennes et le gouvernement syrien. Il prévoit la formation de 120 combattants sahraouis répartis en quatre groupes, appelés à être intégrés dans les unités syriennes à compter de janvier 2012. Le texte fait état d’une réunion tenue à Tindouf, en présence du secrétaire général de l’époque, Mohamed Abdelaziz, de son successeur désigné, Brahim Ghali et de Abdelkader Taleb Omar, ambassadeur du Polisario à Alger aux côtés de représentants syriens et algériens.

Un autre volet du document mentionne un déplacement à Beyrouth en décembre 2011 d’une délégation du Polisario, venue rencontrer un cadre militaire du Hezbollah. Si l’entretien avec Hassan Nasrallah n’eut pas lieu, un canevas d’intervention sur le théâtre syrien a été élaboré lors de cette mission. Selon les termes des documents syriens, les éléments sahraouis furent affectés à des missions de terrain à caractère offensif, participant notamment à des opérations spéciales dans la région d’Alep.

Rabat avait alerté dès 2018

Pour le Maroc, ces révélations confirment une architecture subversive maintes fois dénoncée. Dès 2018, le ministre des affaires étrangères Nasser Bourita annonçait la rupture des relations diplomatiques avec la République islamique d’Iran, reprochant à celle-ci de fournir armes et encadrement militaire au Polisario par l’entremise du Hezbollah. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique cette même année, le chef de la diplomatie marocaine évoquait une coordination logistique structurée, impliquant transferts d’équipements, encadrement tactique et formations dispensées à des éléments sahraouis.

Les archives syriennes récemment divulguées prolongent ces accusations en y ajoutant une dimension opérationnelle : loin de se limiter à un soutien indirect, la chaîne d’acheminement aurait abouti à l’implication active de ces unités dans la répression menée par les troupes de Bachar al-Assad.

L’ombre persistante de l’Iran

D’après les conclusions de l’enquête américaine, Téhéran aurait supervisé la constitution d’un réseau de supplétifs étrangers destiné à pallier les défaillances de l’armée régulière syrienne. Ce dispositif englobait des circuits de contrebande d’armes, des camps d’instruction et un encadrement direct des unités intégrées. Les combattants sahraouis y apparaissent comme des agents d’exécution au service de cette stratégie, au même titre que les milices libanaises et irakiennes mobilisées dans le cadre du soutien à Damas.

À l’issue de la chute du régime, les nouvelles autorités syriennes ont entrepris de démanteler cette structure logistique. Les centres d’entraînement ont été fermés, les circuits d’acheminement d’armements démantelés, et plusieurs centaines de combattants sahraouis capturés dans les zones encore disputées. Jeune Afrique précise qu’une trentaine d’entre eux ont été faits prisonniers à Alep en décembre 2024.

Un déni embarrassé et une pression croissante

Malgré les documents versés au dossier syrien et les enquêtes de la presse internationale, le Polisario nie catégoriquement toute implication. Pourtant, la montée en puissance des appels à la requalification du Polisario sur la scène internationale donne à ces révélations un retentissement inédit. Aux États-Unis, le député républicain Joe Wilson mène depuis le début du mois d’avril une campagne législative visant à faire inscrire le mouvement séparatiste sur la liste des organisations terroristes. Au Royaume-Uni, l’ancien ministre de la défense Liam Fox l’a désigné comme «instrument d’influence iranien.»

Alger prise dans l’engrenage

Pour Alger, soutien historique du Polisario, cette séquence constitue une contrariété géopolitique de premier ordre. Le soutien implicite à un mouvement impliqué militairement dans une guerre civile étrangère, sous la houlette de Téhéran, entame la crédibilité de sa doctrine diplomatique. Si les conséquences immédiates sont encore incertaines, la persistance de ce dossier pourrait reconfigurer certaines alliances régionales.

Jeune Afrique rappelle que les relations entre Rabat et Damas n’ont pas toujours été conflictuelles. Au début des années 2000, sous l’impulsion de Abderrahman Youssoufi, un rapprochement avait été amorcé. En 2001, la fermeture du bureau du Polisario à Damas avait même été obtenue. Mais dès 2012, la Syrie reprit contact avec la direction du mouvement séparatiste. Cette année-là, Saad Dine El Otmani, alors ministre des affaires étrangères du Maroc, intervint devant le Conseil de sécurité pour condamner les exactions du régime syrien. La réplique de Bachar al-Jaafari, représentant syrien à l’ONU, fut cinglante : il menaça alors de divulguer des «dossiers sensibles» relatifs à la question du Sahara.

En 2023, la présence d’un représentant du Polisario dans les locaux de la mission diplomatique syrienne à Genève avait suscité l’ire de Rabat. En juin 2024, la participation du mouvement à un colloque pro-palestinien organisé à Beyrouth sous patronage syrien fut interprétée comme une provocation supplémentaire.

Un tournant diplomatique irréversible ?

L’irruption de ces archives, leur portée politique et leur résonance sécuritaire pourraient accélérer une recomposition des équilibres régionaux autour de la question du Sahara. Pour Rabat, elles viennent sceller ce qui était jusqu’alors affirmé sans preuve documentaire : une collusion opérationnelle entre le Polisario, l’Iran, le Hezbollah et le régime syrien. Pour Alger, elles posent une redoutable équation stratégique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *