Discours de la Fête du Trône : entretien avec Ali Lahrichi, expert en sciences politiques et juridiques

Le discours royal prononcé à l’occasion de la fête du Trône par le Roi Mohammed VI annonce un modèle nouveau de développement national, et ce, sur plusieurs plans. Un diagnostic des accomplissements et des dysfonctionnements du pays, et qui trace la prochaine ligne d’action à entreprendre pour consolider les uns et dépasser les autres, en fixant les priorités en termes de politiques publiques.

Ali Lahrichi s’est prêté aux questions de barlamane.com/fr, en ses qualités de Docteur en droit public et d’expert en sciences politiques et juridiques, et nous livre des éléments d’analyse du discours royal.

C’est la deuxième fois que le Maroc adresse une « main tendue » à l’Algérie. Cette fois, le pays voisin est le terrain de plusieurs bouleversements politiques. Pensez-vous qu’avec un nouveau pouvoir, le dialogue autour du Sahara marocain peut mieux s’annoncer ?

Ali Lahrichi : Il faut d’abord préciser que cette «main tendue» en tant qu’acte politique dénote de la grande sagesse du Chef d’Etat marocain, qui, en homme visionnaire, est soucieux de l’unité des peuples de la région, et préconise la résolution d’un différend qui n’a que trop duré.

Il y aussi une grande réalité historique qu’il faut rappeler : l’Algérie a une grande dette envers le Maroc, qui consiste en la «main tendue» du Royaume à son voisin de l’Est dans la lutte pour son indépendance.  Un sujet, qui à mon sens, nécessite un développement propre et dont je me limiterai ici à citer la position du Maroc et son soutien à cette cause sacrée, à travers la déclaration du Roi Mohammed V dans son discours du 1er novembre 1960 : «la libération de l’Algérie est une question de vie ou de mort pour Nous, car c’est la plus pure garantie de notre indépendance, de l’unité du Maghreb arabe et de la libération de tout le continent africain».[1]

Par ailleurs, je pense que le temps est venu pour enterrer la hache de guerre entre deux pays et deux peuples dont les liens sont sacrés. En effet, tous les fondements historiques, culturels et même identitaires sont presque les mêmes. Hélas, ces deux frères que tout unit, se sont tournés le dos depuis l’indépendance de l’Algérie pour des raisons qui trouvent leur origine dans un legs frontalier hérité de la colonisation française de l’Algérie et du protectorat français au Maroc et surtout de l’attitude de l’Algérie par la suite vis-à-vis du Maroc.

Il faut à mon sens que l’Algérie arrête son soutien à une entité fantôme qui se réclame d’un territoire qui appartient par la force de l’histoire et des arguments juridiques au Royaume Chérifien depuis toujours et pour toujours.

Je pense que le nouveau pouvoir qui va prendre les rênes en Algérie, doit répondre à la main tendue du Maroc et prendre en considération le passé, le présent et l’avenir commun de deux pays dont l’entente ne peut que favoriser le développement des deux Etats et l’épanouissement de leurs populations dans un climat serein, et pour asseoir une réelle unité du Grand Maghreb, dont la portée ne peut être que favorable à l’échelle régionale et internationale.

Le Roi a annoncé un remaniement gouvernemental imminent, vu son insatisfaction de la lenteur et des résultats de certaines réformes, que pouvez-vous nous dire sur cela?

A.L : Le discours du Trône du Roi s’inscrit dans la continuité de la ligne de conduite du Souverain pour placer le Maroc sur le chemin du développement, de la justice sociale, et surtout pour remédier aux entraves qui empêchent un Maroc équitable pour tous ses enfants. Il est en outre ponctué de rappels à l’ordre lancés à la classe politique, aux responsables et au gouvernement pour répondre aux besoins et aux doléances des Marocain(e)s surtout par rapport à certains domaines qui touchent directement les citoyennes et les citoyens.

Faut-il rappeler que le constat a été déjà fait par le Roi lui-même dans de précédents discours, ou encore faut-il rappeler la feuille de route donnée par le Souverain pour dépasser tous ces obstacles qui paralysent l’éclosion d’un modèle de développement prospère, et dont la portée serait palpable par toute la population.

En effet, le Discours du Roi Mohammed VI prononcé en octobre 2017 devant le Parlement avait tiré la sonnette d’alarme sur le laisser-aller des politiques et de l’administration qui impacte activement et dans le mauvais sens la vie du pays. Il avait d’ailleurs mis le doigt sur l’ensemble des dysfonctionnements qui minent la bonne marche des affaires de l’Etat en rappelant à l’ordre les représentants de la Nation et en conjuguant le verbe d’une manière sévère sur la responsabilité et l’urgence, qui leur incombent pour remplir leur mission avec scrupule et dont ils sont tenus devant les citoyens et la Nation : «En outre, nous appelons tout un chacun à faire montre d’objectivité en appelant les choses par leur nom, sans complaisance ni fioriture, et en proposant des solutions innovantes et audacieuses, quitte à s’écarter des méthodes conventionnelles appliquées jusqu’ici, ou même, à provoquer un véritable séisme politique».[2]

Le Roi dans ce même discours avait défini clairement la problématique et a mis le doigt sur les responsabilités de tout un chacun tout en appelant à faire «une réflexion critique» par les responsables politiques et en conviant les forces vives de la Nation et les acteurs sérieux à adhérer à cette «approche participative» et contribuer à «l’élaboration d’une conception intégrée» qui répond aux attentes des citoyens.

Deux années après, dans l’objectif de capitaliser sur les acquis obtenus, tout en parachevant la dynamique des réformes en cours, d’une part, et face aux dysfonctionnements observés sur le terrain et suite aux multiples rappels à l’ordre, d’autre part, le Roi annonce un remaniement gouvernemental, qui devient ma foi imminent.  

Le souverain évoque l’arrivée d’ «une étape nouvelle dont les maîtres mots sont “Responsabilité” et “Essor”». Pour réussir ce challenge, le Roi est très clair à ce niveau : il faut apporter du « sang neuf », il faut mettre en place de nouvelles compétences du pays dans les différents postes et niveaux de responsabilité, y compris le gouvernement. En d’autres termes, il faut arrêter avec le népotisme politique et les calculs politiciens et ouvrir la voie aux compétences du pays pour aller de l’avant…

Par ailleurs, le remaniement gouvernemental devenait plus qu’une nécessité au vue de l’impasse que connait ce dernier avec toutes les discordances entre ces différentes composantes. La Loi cadre sur l’enseignement a étalé sur la place publique toutes les divergences de la majorité, et qui sont ma foi, un vrai frein pour l’aboutissement des réformes escomptées et la réussite du chantier d’un Maroc prospère.

Que pensez-vous de l’insistance du Roi sur l’imminence d’améliorer les services publics et sociaux?

A.L : Sur ce volet, le Souverain est assez clair dans ses propos, il dit d’ailleurs expressément : «Le devoir de clarté et d’objectivité impose de nuancer ce bilan positif dans la mesure où les progrès et les réalisations, d’ores et déjà accomplis, n’ont malheureusement pas encore eu des répercussions suffisantes sur l’ensemble de la société marocaine»

Le Roi est conscient de l’ensemble des besoins et des attentes des Marocaines et des Marocains dans les domaines des services publics et sociaux, notamment la santé, l’enseignement, la justice sociale, le développement équilibré et équitable, garant de la dignité de tous, la réduction des disparités catégorielles et des écarts territoriaux …

N’a-t-il pas énuméré dans ses anciens discours les défaillances desdits services et donner des directives pour les améliorer.

Hélas, les avancées dans ces domaines restent minimes face aux attentes des citoyens devenues de plus en plus pressantes et urgentes à satisfaire. Le Roi est à l’écoute de la détresse de la population, c’est pour cette raison qu’il met encore une fois l’accent sur l’urgence pour améliorer les services publics et sociaux.

Le Roi appelle à la « réévaluation et l’actualisation » du modèle de développement économique du Maroc, qui a révélé son incapacité « à satisfaire les besoins croissants d’une partie de nos citoyens, à réduire les inégalités sociales et les disparités spatiales. », A votre sens, comment assurer cela dans un laps de temps correct, et selon quelles mesures?

A.L : Je pense qu’une partie de la réponse à votre question se trouve dans le discours du Roi. D’abord, le Constat et la problématique sont clairs et nets pour tout un chacun.  L’appel du Roi à la «réévaluation» et à la «réactualisation» du modèle de développement qui s’est révélé incapable de «satisfaire les besoins croissants d’une partie des nos citoyens, à réduire les inégalités sociales et les disparités spatiales», repose sur deux axes clairs, qui se déclinent dans «l’amélioration des prestations sociales de base» et «le rehaussement de la performance des services publics».

Comment faire ? La deuxième partie est le «sang neuf». Ce sont les compétences dont regorge le pays autant dans le secteur public que dans le secteur privé qui peuvent apporter des idées nouvelles et innover. Ce sont les Marocaines et les Marocains scrupuleux, qui excellent dans leur travail et qui sont une richesse nationale à qui on ne fait pas appel, au vue de la non proximité des réseaux qui tournent autour des politiques ou autres.

Parmi les outils pour la réalisation et la réussite de ce nouveau plan de développement, il faut que la régionalisation avancée soit effective dans les différentes régions du Royaume, car elle constitue le support d’une approche pratique en matière de «gouvernance territoriale» et reste surtout le moyen le plus efficient pour résoudre les problèmes locaux des populations qui en sont affectées. Aussi, la déconcentration administrative, reste l’un des instruments les plus efficaces pour lutter contre l’engorgement du pouvoir central qui se caractérise en général par la lenteur dans le traitement et le règlement des affaires des citoyens. Elle est aussi un très bon outil qui contribue au rapprochement de l’administration des administrés sur le plan local.

Pour les domaines de la santé et de l’enseignement, il faut des comités de veille composés de compétences reconnues en la matière pour une santé pour tous et un enseignement équitable et une égalité des chances pour tous les enfants du pays.

Depuis les années 90, le Maroc a entrepris plusieurs réformes sur plusieurs plans en vue d’attirer l’investissement étranger. Dans le discours, le Roi appelle à créer une « économie forte et compétitive ». Quels seraient les points à améliorer dans l’économie pour atteindre ce but ?

A.L : A ce niveau, l’IDE [investissements directs à l’étranger], au Maroc va ouvrir à mon sens d’autres portes, qui ne lui était pas possible auparavant au vue des législations en vigueur comme dans le cas des professions libérales. «L’économie forte et compétitive» devient une obligation et une nécessité. Fini temps de l’exclusivité : seule la compétence primera…


[1] Discours du 1er novembre 1960, in l’Écho du Maroc du 3 novembre1960.

[2] Extrait du Discours du Roi Mohammed VI du 13 octobre 2017 à l’occasion de la première session de la 2ème année législative de la 10ème législature.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *