Entre Pékin et Washington, Rabat tisse une ligne de crête stratégique avec en vue ses priorités souveraines, au premier rang desquelles la question du Sahara, dit le New York Times

À la croisée des routes commerciales entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, le Maroc se positionne avec une acuité croissante comme un acteur central des recompositions industrielles mondiales. Grâce à son statut d’exportateur privilégié vers l’Union européenne, à des coûts de production maîtrisés et à des infrastructures logistiques de pointe, le Royaume séduit un nombre croissant d’industriels chinois, en particulier dans les secteurs des batteries, de l’automobile et des énergies renouvelables. Ce mouvement, analysé dans une enquête approfondie du New York Times, s’insère dans une dynamique plus large de relocalisation des chaînes de valeur, marquée par la montée des tensions tarifaires entre la Chine, les États-Unis et l’Europe. Tout en consolidant ses partenariats stratégiques avec Washington et Bruxelles, Rabat accueille les investissements asiatiques avec une prudence calculée, soucieuse de préserver son équilibre diplomatique et ses priorités souveraines, au premier rang desquelles la question du Sahara.

Dans une enquête fouillée publiée par le New York Times, le Maroc apparaît comme un pivot logistique et industriel de plus en plus convoité dans la rivalité sino-occidentale. Fort de sa proximité géographique avec l’Europe et de ses accords de libre-échange avec l’Union européenne et les États-Unis, le pays a su se positionner comme l’un des relais stratégiques de l’économie mondialisée réorganisée autour de nouvelles contraintes tarifaires.

Carrefour industriel convoité

Selon le New York Times, la visite en novembre 2024 du président chinois Xi Jinping à Casablanca, à l’issue du sommet du G20 au Brésil, témoigne de cette reconfiguration des alliances économiques. Accueilli avec dattes et lait, selon l’usage réservé aux hôtes de marque, le dirigeant chinois a rencontré le prince héritier Moulay Hassan. Un geste diplomatique dont la portée dépasse le cérémonial : «le Maroc est devenu un point d’appui essentiel pour les entreprises chinoises désireuses de contourner les barrières douanières imposées à leurs exportations vers l’Europe», observe le quotidien américain.

Le journal rappelle qu’en 2023, le Maroc est devenu le premier exportateur de véhicules vers l’Union européenne, devançant la Chine, le Japon et l’Inde. Depuis, «des dizaines d’entreprises chinoises de la filière automobile s’y installent», dont le fabricant de batteries Gotion High-tech et le producteur de pneumatiques Sentury.

Équilibrisme diplomatique

Cette affluence d’investissements, notamment dans le secteur des véhicules électriques, estimés à plus de 10 milliards de dollars (près de 100 milliards de dirhams), place Rabat dans une posture d’équilibriste face aux tensions croissantes entre Pékin, Washington et Bruxelles. «Le Maroc voit en la Chine un partenaire stratégique de premier plan», déclare Ahmed Aboudouh, chercheur associé au programme MENA de Chatham House, cité par le New York Times. Mais «il est aussi pleinement conscient du risque que représenterait un durcissement de la position américaine en cas de retour de Donald Trump au pouvoir», ajoute-t-il.

Tout en accueillant massivement les capitaux chinois, le royaume veille à préserver son partenariat stratégique avec les États-Unis – coopération militaire, lutte contre le terrorisme, et aspirations à acquérir des avions furtifs F-35 – sans compromettre les équilibres régionaux, notamment sur la question du Sahara.

Tangier Tech, vitrine africaine de l’expansion chinoise

Le poids croissant de la Chine dans l’économie marocaine se manifeste également à travers la Tangier Tech City, vaste zone industrielle développée en partenariat avec le groupe chinois CCCC (China Communications Construction Company). Inaugurée en 2017, cette plateforme est appelée à accueillir à terme quelque 200 entreprises chinoises. Le quotidien américain note qu’en octobre dernier, «le fabricant chinois de pneumatiques Sentury a lancé la production dans une nouvelle usine implantée dans cette zone, véritable tête de pont industrielle en Afrique du Nord.»

Plus largement, la présence chinoise s’inscrit dans l’architecture de la Belt and Road Initiative (BRI), vaste projet géoéconomique lancé par Pékin pour tisser un réseau d’infrastructures reliant la Chine à l’Europe, à l’Afrique et au Moyen-Orient. Au Maroc, cette stratégie s’est concrétisée par des financements dans des projets d’envergure : ligne ferroviaire à grande vitesse, parcs solaires, terminal portuaire à Nador West Med, ou encore un partenariat pour la fourniture d’acier destiné au futur gazoduc Nigeria–Maroc, d’un coût prévisionnel de 26 milliards de dollars.

«Depuis plusieurs années, le Royaume suit une stratégie d’évitement entre puissances rivales», analyse M. Aboudouh dans le New York Times. «Mais si les marges de manœuvre venaient à se resserrer sous une nouvelle administration américaine, il est probable que Rabat fasse preuve d’une prudence accrue», conclut-il.

Une position stratégique de plus en plus convoitée

En s’imposant comme un carrefour logistique et industriel entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, le Maroc intensifie son rôle dans le réagencement des chaînes de valeur mondiales. La multiplication des investissements chinois dans les secteurs des batteries, de l’automobile et de l’acier ne saurait toutefois occulter la prudence diplomatique que Rabat continue d’exercer face aux tensions géoéconomiques croissantes. Entre Washington et Pékin, le Royaume poursuit une posture d’équilibriste, misant sur la diversification de ses alliances sans jamais compromettre ses priorités fondamentales, au premier rang desquelles figure la question du Sahara. Comme le souligne le New York Times, Rabat «a suivi de longue date une stratégie d’atténuation des risques» qui pourrait désormais se heurter à des vents contraires plus vigoureux.

Tangermed Passagers

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