Entre phosphate, cobalt et lithium, le Maroc trace une feuille de route nationale et continentale pour l’industrialisation et la transformation locale des minerais, affirme le PCNS

Le Maroc dispose d’un sous-sol exceptionnel, véritable levier d’indépendance industrielle et énergétique, que les auteurs du Policy Paper n°40/25 du Policy Center for the New South (PCNS) considèrent comme «l’un des piliers de la souveraineté économique du Royaume». L’étude, intitulée «L’avenir se décide aujourd’hui: pour une stratégie marocaine des minerais critiques et stratégiques», plaide pour l’élaboration d’un plan national cohérent, adossé à des alliances africaines et internationales, afin de valoriser les ressources minérales locales et de transformer le pays en acteur central des nouvelles chaînes de valeur mondiales. Le document insiste sur «la nécessité d’une gouvernance intégrée, d’une transformation locale et d’une diplomatie minérale active» comme conditions essentielles à l’affirmation du Maroc dans l’ordre énergétique de demain.

Le Maroc entend redéfinir en profondeur sa relation à ses ressources minières, dans une perspective d’autonomie stratégique et de rayonnement industriel. Dans son Policy Paper n°40/25, intitulé «L’avenir se décide aujourd’hui: pour une stratégie marocaine des minerais critiques et stratégiques», le Policy Center for the New South (PCNS) décrit «un patrimoine minier diversifié et d’une richesse exceptionnelle» dont la valorisation judicieuse pourrait «ériger le Royaume en acteur central de la transition énergétique mondiale».

Le document, signé par Sabrine Emrane et Oussama Tayebi, rappelle que le Maroc «abrite près de 70 % des réserves mondiales de phosphate», gérées par l’Office chérifien des phosphates (OCP Group), puissance industrielle d’envergure internationale. Il souligne également que «le cobalt extrait à Bou Azzer, d’une pureté remarquable, constitue un intrant stratégique pour les batteries lithium-ion», tandis que les gisements de cuivre, de plomb et de manganèse confèrent au pays «une assise géologique singulière et précieuse».

Les auteurs relèvent toutefois que «le Maroc reste dépendant à près de 74 % de l’importation des minerais critiques identifiés par le CESE», ce qui l’expose aux «fluctuations géopolitiques et aux variations de prix mondiaux». Pour réduire cette vulnérabilité, ils appellent à «diversifier les sources d’approvisionnement, encourager le recyclage et revaloriser les résidus miniers produits depuis plusieurs décennies». Ils estiment que «3,5 milliards de tonnes de rejets ont été accumulés entre 1968 et 2015», ce qui ouvre «un potentiel considérable d’économie circulaire au service de la souveraineté minérale nationale».

Minéraux critiques et transition énergétique: portée mondiale et enjeux nationaux

À l’échelle internationale, le rapport note que «les minerais critiques occupent désormais une place centrale dans la transition énergétique et technologique». La rareté de certains métaux, conjuguée à la concentration de leur exploitation, alimente une nouvelle «diplomatie minérale» fondée sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement. Les grandes puissances – du Canada à la France, en passant par les États-Unis – multiplient les accords pour garantir leurs besoins futurs. Les auteurs soulignent que «quelques pays concentrent la quasi-totalité de la production mondiale de cobalt, de nickel et de terres rares, tandis que la Chine domine largement les capacités de raffinage».

Ce déséquilibre, poursuivent-ils, «entraîne une multiplication des mesures protectionnistes et des restrictions à l’exportation», multipliées par cinq depuis 2009. Le texte relève que «le nationalisme des ressources refaçonne les rapports de force géoéconomiques», poussant les États à reconsidérer leurs dépendances. Pour l’Afrique, cette situation ouvre un champ d’action inédit: «le continent peut définir une voie propre fondée sur la transformation locale et la coopération régionale», écrivent les auteurs. Cette approche permettrait «de capter davantage de valeur sur place, de créer des emplois qualifiés et d’accroître la résilience économique des pays producteurs».

Sur le plan national, le document insiste sur le rôle déterminant des minerais critiques dans la transition énergétique du Maroc. Il rappelle que «le cuivre, le lithium, le cobalt et le nickel sont indispensables aux technologies vertes – batteries, éoliennes, électrolyseurs». Pour honorer les engagements climatiques, «leur production devra croître de manière soutenue». Les auteurs précisent que «toute rupture d’approvisionnement compromettrait la décarbonation et l’industrialisation des économies émergentes». Ils appellent donc à «une exploitation rigoureuse, respectueuse de l’environnement, des droits humains et des équilibres sociaux».

Ils notent en outre que «le rôle du Maroc dans la chaîne de valeur des batteries lithium-ion demeure aujourd’hui limité à l’extraction primaire», le pays exportant «essentiellement des matières brutes sans transformation locale significative». Le développement d’unités de traitement, de raffinage et d’assemblage «permettrait de retenir une part accrue de la valeur ajoutée sur le territoire national», tout en consolidant «l’autonomie énergétique et technologique du Royaume».

Vers une stratégie nationale cohérente et des alliances continentales

Les auteurs constatent que «le Maroc ne dispose pas encore d’une stratégie intégrée dédiée aux minerais critiques». Ils relèvent que «ni définition officielle ni feuille de route complète n’ont encore été adoptées». Le Conseil économique, social et environnemental a certes identifié vingt-quatre minerais jugés stratégiques, mais «l’absence de coordination entre les politiques minières, industrielles et énergétiques freine le développement local».

Un projet de loi (72.24), actuellement examiné, prévoit la création d’un comité national chargé du suivi des minerais stratégiques et la modernisation du code minier. Parallèlement, le Programme national de géologie 2021–2030 trace les grandes orientations d’une valorisation durable des ressources. Pourtant, soulignent les auteurs, «l’absence d’un cadre commun cohérent ralentit l’essor du secteur et prive le pays d’une vision à long terme».

Le rapport cite le cas du projet de potasse de Khémisset, dont l’abandon «illustre les limites d’un développement fragmenté sans plan directeur unifié». Cette carence, ajoutent-ils, «empêche la mobilisation de financements internationaux et compromet la création d’écosystèmes industriels locaux».

Sur le plan continental, le document plaide pour «l’élaboration d’une stratégie africaine concertée». Il affirme que «le Maroc, par sa position géographique, son réseau logistique et ses capacités énergétiques, peut jouer un rôle moteur dans la structuration de chaînes de valeur régionales». Cette orientation s’appuierait sur «la mise en place d’alliances Sud-Sud autour de la transformation, du recyclage et de la recherche appliquée».

Le rapport évoque des mécanismes existants tels que le Processus des États africains atlantiques (PEAA), susceptible d’accueillir «un groupe thématique consacré aux minerais critiques associant notamment le Maroc, la République démocratique du Congo, la Guinée et le Gabon». Il recommande de renforcer la coopération technique à travers «le Centre africain de développement minier et le Forum africain des mines», afin d’unifier les normes et d’accroître la transparence des filières.

Les auteurs soulignent que «cette coordination permettrait aux pays producteurs de négocier collectivement les prix et d’améliorer leurs positions dans les échanges mondiaux». Ils proposent «la création d’un système continental de veille économique, d’un fonds panafricain de financement et de programmes conjoints de formation».

Enfin, ils estiment que «le Maroc, fort de sa diplomatie économique et de ses partenariats africains, est en mesure d’incarner un modèle de gouvernance minière équilibrée». Une telle orientation conférerait au Royaume «le statut d’interlocuteur privilégié pour les partenaires étrangers tout en renforçant la voix de l’Afrique dans les négociations internationales».

Les auteurs concluent que «la construction d’une stratégie nationale cohérente et la participation active du Maroc aux cadres régionaux et mondiaux de gouvernance minérale détermineront la place du Royaume dans l’ordre économique à venir». Ils affirment que «c’est dès aujourd’hui que se joue l’avenir minier, industriel et géopolitique du Maroc».

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