France–Algérie : les silences complices d’une guerre feutrée entre services secrets examinée par L’Express

Enlèvements, surveillances, intimidations : les autorités françaises font face à une intensification des opérations clandestines menées par les services algériens sur leur sol. Un affrontement discret, nourri d’intérêts croisés et d’héritages douloureux, vient troubler les apparences d’une coopération diplomatique maintenue en surface.

Dans sa double édition n°3852-3853 datée du 30 avril, L’Express consacre un dossier de plusieurs pages à ce que l’hebdomadaire désigne comme «une guerre secrète» entre les deux États. L’enquête revient sur une série d’opérations troubles impliquant les services de renseignement algériens en France, contre essentiellement des opposants politiques exilés, des journalistes et des membres de la société civile d’origine kabyle.

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Opposants traqués, journalistes ciblé : la France observe, l’Algérie nie

Depuis la répression du Hirak, mouvement prodémocratique algérien né en 2019, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) recense une nette recrudescence d’activités suspectes. Des personnalités médiatiques, des avocats, des militants sont suivis, menacés, parfois agressés. L’Express cite un agent du renseignement français : «Depuis plusieurs mois, le contre-espionnage constate, au-delà du silence radio, l’hostilité extrême d’Alger.»

L’attaque contre le journaliste Abdou Semmar, poignardé à Bobigny en août 2023, en constitue un premier jalon. L’opération, minutieusement préparée, visait à s’emparer de son téléphone contenant des documents confidentiels.

Plus saisissante encore est l’affaire d’Amir Boukhors, connu sous le pseudonyme Amir DZ, enlevé le 29 avril 2024 à Paris par un commando d’au moins quatre hommes. «Ils m’ont bandé les yeux et conduit dans un appartement. Là, j’ai été interrogé sur mes vidéos, mes contacts, mes sources», témoigne-t-il. Une surveillance électronique, établie par la DGSI, permet d’impliquer un agent consulaire algérien. Ce dernier, bénéficiant d’une couverture diplomatique, ne pourra toutefois être interpellé.

Une riposte contenue, des équilibres fragiles

Dans ce même dossier de L’Express, un conseiller de l’Élysée déplore : «Ces barbouzeries ont totalement envenimé la relation politique.» En janvier 2025, six prédicateurs soupçonnés d’être liés aux services algériens sont expulsés par la France. Alger réplique en chassant douze agents français. Les liens diplomatiques se raidissent. La coopération sécuritaire, déjà fragile, devient quasiment inexistante.

Le chef de poste de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) à Alger, successeur du général Rochdi Fehti Moussaoui, ne s’est pas annoncé aux autorités locales — une infraction grave aux usages entre services.

Une intimité ancienne entre services : de la coopération à la défiance

L’enquête de L’Express met en lumière les paradoxes d’une relation fondée sur des décennies d’échanges ambigus. Dans les années 1960 déjà, le service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) collaborait avec la sécurité militaire algérienne (ancêtre du département du renseignement et de la sécurité – DRS). En 1967, un accord confidentiel permettait à la France de poursuivre des essais d’armes chimiques en territoire algérien, sous la couverture d’une filiale de Thomson.

Yves Bonnet, ancien directeur de la direction de la surveillance du territoire (DST), assume pleinement cette entente : «J’ai noué et consolidé la sécurité militaire. Les militaires s’entendaient. Les agents secrets s’affrontaient, mais les objectifs restaient communs.» Il poursuit : «Ce qui compte, c’est l’efficacité.»

Emmanuel Macron en funambule entre conciliation et fermeté

Malgré ces dérives, le président Emmanuel Macron a tenté de maintenir une forme d’équilibre avec Alger. M. Macron avait consenti, selon l’article, à des gestes significatifs : reconnaissance implicite de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, fourniture de matériel de surveillance, relations personnelles entretenues avec M. Tebboune.

Mais l’affaire Boukhors a changé la donne. Un haut responsable cité par L’Express tranche : «Pour la première fois depuis des décennies, un service étranger a tenté de transférer de force un opposant à partir du territoire national. C’est un casus belli.»

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