En un demi-siècle, de 1975 à 2025, le Maroc a parcouru un chemin diplomatique considérable. La marocanité du Sahara a certes toujours été une conviction enracinée, mais rien n’était acquis. Les premières années furent celles des tensions et des incertitudes, marquées par la guerre, par les volte-face de certaines capitales, et par les hésitations des organisations internationales. À l’origine, le cadre de l’Organisation de l’unité africaine puis celui des Nations unies reposait sur une logique binaire : un référendum d’autodétermination tranchant entre indépendance et intégration au Maroc. Le «plan de règlement» puis les initiatives de James Baker et de ses successeurs prolongeaient cette approche. Cinquante ans plus tard, le paysage a radicalement changé : il n’est plus question de référendum inapplicable, encore moins de partition. Le seul horizon politique dont on parle désormais est celui de l’autonomie, reconnue comme la voie la plus réaliste. Quel chemin parcouru !
Cette évolution diplomatique s’accompagne d’une histoire contrastée des relations maroco-américaines. Sous les administrations démocrates de Jimmy Carter et de Barack Obama, le climat fut souvent tendu, marqué par la méfiance et les désaccords. À l’inverse, les présidences républicaines, Reagan, Bush père, Bush fils et Trump I, ont favorisé un rapprochement stratégique et une convergence politique sans précédent. Avec le retour de Trump, la reconnaissance américaine de 2020 et la reprise du processus là où il s’était arrêté pendant la présidence Biden ont scellé ce virage.
La morale de cette trajectoire est limpide : en diplomatie, comme dans toute négociation durable, il faut savoir fixer un objectif, définir les lignes rouges, choisir les méthodes adaptées et déterminer les concessions possibles en chemin.
C’est cette discipline qui a été appliquée ces derniers jours avec l’aide des États-Unis et d’autres pays amis, comme la France. Le porte-plume américain, avec une double casquette, a navigué entre deux préoccupations : une ligne bilatérale affirmée (le Maroc reste un allié majeur et son plan d’autonomie, la seule base de règlement), et une gestion multilatérale respectueuse des équilibres du Conseil de sécurité, de la légalité internationale et des sensibilités des autres puissances.
La résolution 2797, qui a été adoptée le 31 octobre dernier, n’est pas le fruit du hasard : elle est l’aboutissement d’un processus et d’une stratégie royale maîtrisée. La vision, dans le temps long, remonte aux origines, dès la Marche verte. Elle s’est consolidée depuis, progressivement, avec patience et détermination, en plantant des jalons à l’issue de cycles successifs. La présentation en 2007 de l’initiative d’autonomie a été une étape décisive, car elle a donné un cadre politique crédible à la recherche d’une solution politique définitive. Depuis lors, la reconnaissance internationale de la marocanité du Sahara n’a cessé de s’élargir, confirmant la solidité juridique et diplomatique de la position marocaine. L’ouverture de consulats dans les provinces du Sud, la multiplication des appuis explicites au plan d’autonomie, et plus encore la reconnaissance américaine de 2020, ont constitué autant d’étapes d’une même trajectoire ascendante.
Sous la conduite du Roi Mohammed VI, ce mouvement a été conduit avec méthode et constance, selon un «prisme royal» qui articule légitimité historique, développement territorial et diplomatie d’influence. Cette vision a façonné l’approche du Maroc sur la scène internationale : non pas la confrontation, mais la consolidation par la reconnaissance.
C’est dans cette logique qu’en octobre 2024, le processus s’est accéléré : le porte-plume américain, pourtant sous administration démocrate, a introduit dans le préambule du projet de résolution une phrase lourde de portée : «se félicitant de la dynamique récemment créée et demandant instamment qu’elle soit mise à profit». Dans le langage feutré des Nations unies, cette formule équivaut à un tournant. Elle signalait qu’un nouveau cycle s’ouvrait autour de l’autonomie.
L’année 2025 devait en recueillir les fruits. Par l’effet habituel d’accumulation, il convenait d’ancrer cette dynamique et d’en prolonger l’élan. C’est ce qui a été accompli, au-delà de toute attente : la résolution 2797 (2025) prolonge et approfondit la S/RES/2756 du 31 octobre 2024, en consacrant, de manière désormais explicite, la centralité du plan d’autonomie dans le cadre de la pleine souveraineté du Maroc sur son Sahara.
L’examen comparatif des versions successives du projet qui a abouti à la résolution 2797 met en évidence une évolution progressive, à la fois linguistique et politique. Chacune de ces versions traduit un état différent du rapport de forces diplomatique au sein du Conseil de sécurité. L’étude point par point permet de comprendre comment rien n’est improvisé, rien n’est concédé au hasard. D’un texte à l’autre, les ajustements paraissent d’abord lexicaux, mais leur enchaînement montre une volonté claire : consolider, sous un ton de consensus onusien, la centralité du plan d’autonomie marocain.
Dès le préambule, le porte-plume identifie les acteurs en évacuant la notion commode d’États voisins. Les quatre protagonistes (Maroc, Algérie, Mauritanie, polisario) sont placés sur un plan unique. L’Algérie, soi-disant observateur, se retrouve dans la boucle politique.
Tonalité générale
Le premier texte adoptait, volontairement, une posture nettement pro-marocaine. Il plaçait la proposition d’autonomie au centre du dispositif et en faisait le seul cadre de négociation légitime, reprenant pratiquement la reconnaissance américaine de 2020. Le ton était directif et cherchait à orienter le Conseil vers une conclusion politique rapide.
Par la suite, la tonalité s’adoucit sans pour autant perdre sa direction. Le langage se fait plus diplomatique, mais demeure orienté en faveur du plan marocain, qui conserve une position dominante.
La version du 31 octobre marque le retour à une écriture plus classique, conforme aux usages du Conseil de sécurité. Le style devient multilatéral et inclusif, dépouillé des formulations trop affirmatives. Il s’agit d’un texte conçu pour être adopté à large majorité, tout en préservant l’esprit favorable à l’autonomie marocaine.
L’autonomie
Le quatrième paragraphe, pivot politique, condense la stratégie de l’équipe de rédaction. Si le cercle des soutiens passe de «les États membres» à «de nombreux États membres», concession mineure, la qualification du plan marocain, elle, suit une trajectoire inverse : d’abord «la solution la plus réalisable (the most feasible solution)», puis «pourrait constituer une solution des plus réalisables», elle est considérée comme une «contribution sérieuse et crédible», pour, enfin, devenir dans la résolution adoptée, «la base d’un règlement juste, durable et mutuellement acceptable». Le porte-plume a allégé le texte sans en changer l’axe : l’autonomie demeure l’unique voie praticable, simplement présentée autrement pour élargir le socle de l’adhésion au texte.
Le principe d’autodétermination
Dans tous les textes, sauf le premier, l’autodétermination est présente à la suite de la solution politique, conformément au langage onusien traditionnel, qui met en balance le réalisme politique et la légitimité internationale.
Propositions
Pour la première fois depuis 2007, le Conseil ne prend plus acte d’une «proposition du polisario». Celle-ci n’est même pas citée, malgré les démarches algériennes. C’est une rupture avec dix-huit ans de traitement sans éclat. Ce choix consacre une asymétrie assumée entre les parties : le polisario perd en visibilité, il est mentionné uniquement comme partie dans les consultations avec l’envoyé personnel.
Le cadre des négociations
Dans le premier projet, les négociations devaient être «fondées sur la proposition d’autonomie sérieuse, crédible et réaliste du Maroc». La formulation était impérative et laissait entendre qu’aucune autre base n’était acceptable.
Le deuxième projet adopte une tournure plus nuancée : les négociations devraient être menées «en appui sur la proposition d’autonomie du Maroc».
Le texte final en français entérine cette atténuation : les négociations doivent se dérouler «en se fondant sur le plan d’autonomie proposé par le Maroc». Cette version renforce la légitimité de la proposition sans lui donner un caractère contraignant.
L’appel aux parties
Dans la deuxième version, le Conseil «encourage les parties à soumettre des propositions en vue d’une solution définitive mutuellement acceptable».
Le troisième projet a reformulé cet appel en termes plus neutres en «encourageant les parties à présenter des suggestions concrètes».
Puis vient la formule-clé dans le texte adopté : «attend avec intérêt les propositions constructives des parties au regard du plan d’autonomie». Ce complément ouvre un espace d’expression pour les autres parties, mais dans un cadre défini : les suggestions doivent se situer en réponse à la proposition marocaine, non en opposition à elle. C’est une ouverture maîtrisée, qui élargit le champ du dialogue sans rouvrir la compétition entre projets. Autrement dit, toute initiative est désormais évaluée par rapport à ce plan : il n’est plus une option, mais la mesure commune.
La durée du mandat de la Minurso
Dans la partie opérative, la progression se fait par paliers maîtrisés. Le mandat de la Minurso oscille de trois mois à un an ; la version finale opte pour la stabilité annuelle, traduisant un retour à la pratique habituelle.
Le rapport du secrétaire général
Le premier projet prévoyait que le secrétaire général informe le Conseil «régulièrement, et à tout moment qu’il jugera approprié pendant la période du mandat, y compris dans les six semaines suivant le renouvellement de ce mandat et à nouveau avant son expiration». Des recommandations sont demandées «pour la transformation ou la cessation de la Minurso sur la base du résultat des négociations».
Le deuxième projet demandait au secrétaire général simplement «d’informer régulièrement le Conseil de sécurité et à tout moment».
Le texte du 31 octobre se limite à demander un rapport classique avant l’expiration du mandat, incluant une évaluation du processus de négociation. Ce retour à la normalité pourrait exprimer la volonté du Conseil ou de certains de ses membres d’éviter une politisation excessive du rôle du secrétaire général.
Dans la résolution 2797, il est demandé au secrétaire général de faire «régulièrement des exposés, à chaque fois qu’il le jugera utile au cours de la période du mandat», et «de présenter, dans les six mois suivant la prorogation du mandat, un examen stratégique relatif au futur mandat de la Minurso, en tenant compte de l’issue des négociations».
La référence aux États-Unis
Dans le premier projet, les États-Unis étaient mis en avant. Le texte saluait explicitement le leadership du président Donald Trump et remerciait Washington pour sa volonté d’accueillir des négociations.
Dans le deuxième projet, le ton devient plus neutre : la mention américaine subsiste uniquement sous forme de remerciement pour la disponibilité à accueillir des réunions. La reconnaissance personnelle s’efface derrière une neutralité de procédure. L’Amérique n’a pas besoin d’éloges, elle est à la manœuvre.
Présent dans le premier projet, l’appel du président Trump aux parties à engager des discussions sans délai, en utilisant «la proposition d’autonomie du Maroc comme seul cadre pour négocier une solution mutuellement acceptable», n’a pas été repris.
La dimension humanitaire et le cessez-le-feu
Le premier projet ne comportait aucune référence humanitaire.
Les paragraphes 6 et 7, ajoutés, apportent la touche humanitaire et sécuritaire attendue : respect du cessez-le-feu, situation des réfugiés. Leur ajout montre un ajustement de façade, les indispensables clauses d’équilibre, sans impact sur la trame politique.
L’évolution des textes illustre un glissement progressif : le premier projet exprimait une ligne d’alignement américain sans équivoque ; les projets suivants atténuaient la forme tout en consolidant le fond ; le texte final rétablit la syntaxe multilatérale sans renverser la hiérarchie des priorités.
La proposition marocaine reste la seule mentionnée. Le principe d’autodétermination est présent, la dimension humanitaire s’affirme, et le ton redevient celui d’un Conseil de sécurité soucieux de préserver le consensus.
En dix jours, la plume américaine a connu trois états successifs : l’affirmation politique, l’ajustement technique puis la stabilisation multilatérale.
Le dernier texte adopté a adouci la rhétorique, mais sans renverser l’orientation politique. Il visait à assurer le passage en séance sans provoquer de veto ni d’abstentions critiques. Les mots ont changé, mais l’autonomie reste au centre, simplement enveloppée dans le langage policé de la diplomatie multilatérale.
Autrement dit, le fond demeure, la forme s’adapte. En diplomatie, c’est souvent là que se joue l’essentiel.



