«Hirak en Algérie» : le livre-événement qui secoue, détonne, éclaire

Conçu à l’initiative d’Algeria-Watch, association de défense des droits humains en Algérie, ce livre collectif «se propose de rendre compte du Hirak populaire, qui a surpris tous les observateurs. C’est aussi un livre qui s’attarde avec « une lucidité remarquable sur la nature du régime algérien, dirigé par une coupole mafieuse constituée des généraux de l’armée et de la police politique, relayés par leurs clientèles civiles, patrons de presse, agitateurs aux ordres et oligarques.» Barlamane.com en publiera les bonnes feuilles.

Hirak en Algérie: L’invention d’un soulèvement (éditions La Fabrique) est un livre emblématique. Avant de retracer l’itinéraire du Hirak, les auteurs du livre rappellent une réalité essentielle : «Entre 1992 et le début des années 2000, l’Algérie a connu une guerre contre les civils qui a causé environ 200 000 morts, près de 20 000 disparus, des centaines de milliers de déplacés, des dizaines de milliers de torturés et de déportés. S’il est indéniable qu’une partie de ces violences a été le fait de groupes armés se réclamant de l’islam, les principaux responsables ont été les forces spéciales de l’armée, les services de renseignements, les milices, les escadrons de la mort ou les faux groupes armés. Abdelaziz Bouteflika a codifié l’impunité pour tous les criminels, militaires ou non. La société algérienne subit encore ce lourd passif de ces années sanglantes, dont la mémoire est présente dans toutes les familles qui se sont mobilisées dans le Hirak.»

Le Hirak a dénoncé un système inique et opaque. «Organisée en réseaux parfois concurrents, cette caste est tout entière définie par ses pratiques de captation des richesses nationales, entre corruption et détournements. Le pouvoir en dernière instance, celui des décideurs militaires, se dissimule derrière une façade institutionnelle artificielle aux apparences démocratiques organisée autour de ministres et de partis, laïques ou islamistes, sans aucune autonomie. À la différence de nombre d’observateurs étrangers, tous les Algériens connaissent précisément ce système, son fonctionnement et ses personnels, celui qu’ils ont dénoncé dans les manifestations hebdomadaires en réclamant une deuxième libération, celle du peuple après celle du pays libéré du joug colonial en 1962.»

Le livre, qui dénonce la confiscation de la «légitimité historique» par une petite minorité et la glorification de la lutte armée par une histoire officielle qui a soigneusement effacé tout rôle de l’action politique dans la libération du pays, revient également sur la décennie noire (1992-2002) avec moult détails. «Aucun procès équitable ne s’est déroulé en Algérie afin d’établir les responsabilités des déportations, détentions arbitraires, tortures, disparitions forcées et assassinats commis durant la “sale guerre”, crimes perpétrés par des agents de l’État ou par des membres de groupes armés se réclamant de l’islam. La vérité sur les massacres ne pouvait toujours pas être exprimée ouvertement, sous peine de poursuites. Si la plupart des généraux responsables du coup d’État en 1992 ne sont plus en fonction ou sont décédés, nombre de leurs subalternes, aujourd’hui généraux-majors, sont encore en activité ; tandis que, on l’a vu, Mohammed Médiène et Athmane Tartag ont été incarcérés (mais pas pour leurs crimes) et que Khaled Nezzar a fui en Espagne.»

«D’autres participants fustigent certains généraux emblématiques de cette période, parmi lesquels Mohammed Médiène (quatre-vingts ans), dit “Tewfik”, et Athmane Tartag (soixante-neuf ans), dit “Bachir” (de son vrai nom El-Bachir Sahraoui), respectivement tout-puissant chef de la police politique du régime (le DRS, Département de renseignement et de sécurité) de 1990 à 2015 et ex-responsable d’un des plus importants centres de torture et d’exécutions extrajudiciaires du DRS durant les années 1990, celui de Blida 6» a-t-on détaillé.

Le témoignage de José Garçon, membre de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, est édifiant : «C’est le drame d’un pays immensément riche dont les recettes en hydrocarbures ont été évaluées à quatre fois le plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe. Mais c’est aussi l’histoire d’un régime incapable de dépenser rationnellement cet argent pour le bien public. Depuis l’indépendance en 1962, il a en effet dirigé de plus en plus selon une logique qui ne vise à construire ni un État ni une économie durable, mais qui obéit à un double impératif : édifier une (fragile) économie de rente au bénéfice de la nomenklatura et de ses réseaux clientélistes et neutraliser, fragmenter et isoler un peuple qu’il méprise. Rarement système se sera érigé à ce point contre une société. Des décennies durant, les simples citoyens ont été contraints à l’attente infinie d’une conduite d’eau, de gaz ou de logements sociaux, attribués souvent d’ailleurs aux moins nécessiteux ; à subir pénuries alimentaires et de médicaments et à endurer des accidents mortels provoqués par des routes crevassées. Sans parler des maisons fissurées par la dynamite employée dans des carrières trop proches et de l’asthme des enfants provoqué par la poussière. Combien de familles ont eu par ailleurs à pleurer la mort d’un proche aux mains des forces de sécurité dans des conditions invraisemblables, comme – exemple parmi tant d’autres – cet homme retrouvé étranglé en 2005 avec ses lacets dans les locaux de la sûreté de Constantine ? Et que dire de la retransmission par la télévision nationale de matchs de football sans le son pour empêcher qu’on entende hurler depuis les gradins le fameux “Pouvoir assassin !”, parfait raccourci de l’idée que la société se fait de ceux qui la dirigent…»

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