La Banque mondiale note l’essor progressif de l’économie marocaine mais déplore la faiblesse persistante de l’emploi et la rigidité du marché du travail, points noirs du quinquennat d’Aziz Akhannouch

Dans son rapport de suivi de la situation économique au Maroc – hiver 2025, la Banque mondiale (BM) livre une analyse contrastée. Elle salue une reprise économique avec un produit intérieur brut (PIB) en hausse de 3,2 % en 2024, tiré par un secteur non agricole en progression de 3,8 % alors que l’inflation est retombée à 0,9 % en moyenne, autorisant Bank Al-Maghrib à réduire son taux directeur à 2,75 %. Les finances publiques se sont assainies, avec un déficit ramené à 3,9 % du PIB contre près de 7 % en 2020 tandis que la dette publique s’établit à environ 66 %. Le déficit courant, historiquement proche de 5 % du PIB, s’est réduit à 0,6 % en 2023 et à 1,5 % sur les neuf premiers mois de 2024, grâce à une hausse des exportations (+6,3 %), des recettes touristiques (+24 %) et des investissements directs étrangers (+24,7 %). Mais ce tableau positif est assombri par une création d’emplois jugée largement insuffisante : la population en âge de travailler a augmenté de 10 % en dix ans, alors que l’emploi n’a progressé que de 1,5 %. En 2024, 162 000 emplois ont été générés en milieu urbain mais le chômage urbain a légèrement augmenté à 16,9 % sauf que le recul de l’emploi rural persiste. La Banque mondiale avertit que «la création insuffisante d’emplois demeure un défi fondamental» et insiste sur la nécessité de réformes ciblées pour réduire les coûts d’embauche, améliorer le fonctionnement de la justice commerciale et accroître la participation des femmes, freinée par des normes sociales persistantes.

La Banque mondiale (Banque internationale pour la reconstruction et le développement – BIRD) a publié le 16 septembre son rapport de suivi de la situation économique au Maroc – hiver 2025, rédigé par Javier Díaz-Cassou et ses collègues du département Politique économique (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Ce document de référence s’impose comme une synthèse approfondie de la trajectoire économique du Maroc. Il décrit avec précision les évolutions récentes, les performances macroéconomiques, la stabilité des finances publiques, l’équilibre extérieur, l’investissement, mais aussi les tensions sociales et les blocages persistants du marché du travail. L’analyse établit que, malgré des signes encourageants de reprise et une inflation désormais maîtrisée, le déficit de création d’emplois et les rigidités structurelles continuent de freiner le développement inclusif du pays.

Une croissance réelle de 3,2 % en 2024 et une inflation limitée à 0,9 %

Le rapport souligne d’emblée que «la croissance économique du Maroc a montré des signes de reprise en 2024», en dépit d’une sécheresse sévère qui a frappé le secteur agricole. Le produit intérieur brut (PIB) réel a progressé de 3,2 % en glissement annuel, mais ce chiffre reflète essentiellement la faiblesse de la valeur ajoutée agricole. La Banque mondiale précise que «la croissance du secteur non agricole s’est accélérée, pour atteindre un taux estimé à 3,8 %». Cette évolution favorable trouve sa source dans le dynamisme de l’industrie manufacturière et dans un redressement tangible de l’investissement, qu’il soit public ou privé, national ou étranger.

Sur le plan monétaire, le rapport relève que «l’inflation est passée sous la barre des 1 %», après avoir atteint un sommet en 2022 et au début de 2023. En moyenne, elle n’a été que de 0,9 % en 2024, ce qui constitue un minimum historique. Cette détente a conduit Bank Al-Maghrib (BAM) à réduire à deux reprises son taux directeur, pour le fixer à 2,75 % en fin d’année. La Banque mondiale note que «l’inflation annuelle a considérablement baissé de 10,1 % en février 2023 à seulement 0,9 % en moyenne en 2024». Dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, le Maroc a été le premier pays à engager une détente monétaire, confirmant la crédibilité de sa politique monétaire et la confiance dans la stabilité des prix.

La consommation des ménages, soutenue par la décrue des prix et par un nouveau programme d’aides sociales, a progressé de 3,3 % en 2024. Les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont également contribué à stabiliser le revenu disponible. Cependant, l’enquête du Haut-Commissariat au Plan (HCP) met en évidence un climat de confiance encore fragile, nourri par le souvenir de la hausse des prix intervenue deux ans plus tôt et par des inquiétudes persistantes sur l’avenir de l’emploi.

Des exportations en hausse de 6,3 % et un déficit budgétaire ramené à 3,9 % du PIB

Le commerce extérieur a profité d’un regain d’activité. Le rapport constate que «les revenus touristiques ont bondi de 24 % en 2024 et les ventes à l’étranger ont augmenté en moyenne de 6,3 %». La Banque mondiale ajoute que «l’économie marocaine s’oriente de plus en plus vers l’exportation», grâce à trois filières clefs : l’automobile (+6,3 % de recettes), l’aéronautique (+14,9 %) et les phosphates (+13,1 %). Cette réorientation témoigne d’une capacité accrue à capter la demande internationale, malgré la volatilité des marchés mondiaux.

Du côté des finances publiques, le rapport insiste sur la trajectoire retrouvée de maîtrise. Il affirme que «le déficit budgétaire a retrouvé progressivement ses niveaux d’avant la pandémie». Établi à 3,9 % du PIB en 2024, il marque une nette réduction par rapport aux 7 % atteints en 2020. Cette amélioration a été permise par une réforme fiscale progressive, la lutte contre la fraude et un suivi plus strict des dépenses, malgré des «pressions budgétaires importantes» liées à la hausse de la masse salariale publique et aux subventions sociales. La dette publique, à environ 66 % du PIB, poursuit une tendance lente mais constante à la baisse. Les autorités ont pour objectif de ramener le déficit à 3 % du PIB dans les années à venir, tout en maintenant la dette sur une trajectoire descendante.

Un déficit courant limité à 1,5 % et une hausse de 24,7 % des investissements directs étrangers

Le rapport met en avant l’évolution de la position extérieure. Le déficit du compte courant, qui atteignait en moyenne 5 % du PIB entre 2010 et 2019, s’est réduit à seulement 1,9 % depuis 2020, et même 0,6 % en 2023. Pour les neuf premiers mois de 2024, il s’établit à environ 1,5 % du PIB. La Banque mondiale note que «le déficit du compte courant a commencé à s’inverser, pour atteindre environ 1,5 % du PIB au cours des neuf premiers mois de 2024». Cette correction découle surtout du repli de l’investissement brut, passé de plus de 32 % du PIB avant 2020 à 29,2 % en 2023, ce qui a amélioré le ratio épargne-investissement. L’entrée nette d’investissements directs étrangers (IDE) a, pour sa part, bondi de 24,7 % en 2024, confirmant la confiance des investisseurs dans la stabilité du pays. Les réserves de change, couvrant environ cinq mois d’importations, renforcent cette solidité extérieure.

Le rapport anticipe une croissance du PIB de 3,6 % en 2025, sous l’hypothèse d’une reprise partielle du secteur agricole. L’inflation devrait rester faible, et le déficit courant voisin de sa moyenne historique, autour de 2 % du PIB.

Une création de 162 000 emplois urbains mais un chômage encore à 16,9 %

La Banque mondiale nuance cependant ce tableau en soulignant que «la création insuffisante d’emplois demeure un défi fondamental». Entre 2014 et 2024, la population en âge de travailler a crû de 10 %, tandis que l’emploi n’a progressé que de 1,5 %. Cette inadéquation structurelle nourrit un chômage persistant et limite l’amélioration du revenu des ménages. Les auteurs ajoutent que «des normes sociales liées au genre restreignent la participation des femmes» au marché du travail, ce qui accentue encore les déséquilibres.

À court terme, le marché du travail urbain a toutefois montré quelques signes de vitalité. Le rapport observe que «en 2024, environ 162 000 emplois ont été créés dans les zones urbaines, contre 41 000 en 2023». L’emploi urbain a ainsi progressé de 2,5 %. Mais ces créations se sont concentrées dans les villes, tandis que l’emploi rural, majoritairement informel, a continué de reculer. Le taux de chômage urbain s’est légèrement accru, de 16,8 % à 16,9 %, révélant que l’accroissement de la population active reste supérieur aux créations d’emplois.

La Banque mondiale souligne que «le manque de dynamisme du secteur privé marocain, avec peu d’entreprises à forte croissance, limite la création d’emplois». Elle note également que «le Maroc a obtenu de bons résultats dans la première édition du rapport B-Ready, surpassant en grande partie les pays de niveau de revenu similaire en matière d’évaluation des cadres réglementaires et des services publics». Mais ces performances sont contrebalancées par des «écarts significatifs» par rapport aux meilleures pratiques mondiales, que seule une réforme ciblée pourra réduire.

Le rapport indique que «le Maroc fait face à des obstacles et à des coûts élevés liés à l’embauche dans le secteur formel». Ces rigidités freinent l’intégration d’une partie de la main-d’œuvre et accroissent la dualité entre salariés protégés et travailleurs précaires. L’étude évoque encore des insuffisances dans le fonctionnement de la justice commerciale, une réforme du régime d’insolvabilité encore inachevée et une absence de dématérialisation des procédures qui alourdit l’environnement des affaires.

En définitive, le texte met en exergue «des signes prometteurs de résilience, tels qu’une croissance non agricole robuste, une inflation maîtrisée et un déficit extérieur réduit, mais aussi des défis structurels sérieux, liés à l’emploi limité et aux rigidités réglementaires et sociales». Les experts de la Banque mondiale appellent à des réformes sectorielles plus ciblées, notamment l’allègement du coût du travail formel, la numérisation des procédures judiciaires et la clarification du cadre légal, afin que le Maroc transforme ses acquis macroéconomiques en croissance inclusive et en emplois durables.

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