La communauté internationale n’a jamais cru à un État sahraoui indépendant, mais il lui aura fallu cinquante ans pour l’admettre

Cinquante ans après, les archives diplomatiques et les témoignages d’experts révèlent une vérité longtemps tue : la communauté internationale n’a jamais envisagé la création d’un «État sahraoui» séparé du Maroc. Derrière les discours de façade, les grandes capitales occidentales ont toujours perçu ce projet comme une construction artificielle, nourrie par Alger pour étendre son influence vers l’Atlantique.

La communauté internationale n’a jamais admis la fiction d’un «État sahraoui indépendant» — entité sans fondement historique ni viabilité politique — qui aurait servi de satellite à l’Algérie. Il aura pourtant fallu un demi-siècle pour que cette vérité s’exprime sans détour.

Sur l’affaire du Sahara, bien des détails demeurent enfouis dans les marges de l’Histoire, telle cette anecdote rapportée par Charles Vanhecke, l’un des plus fins connaisseurs du dossier. Il évoque ainsi un grief formulé par Madrid : «Les diplomates espagnols estiment [cela se passe en mars 1978] qu’Alger a sa part de responsabilité dans ce qui s’est passé en 1975 [récupération du Sahara par Rabat]. Cette année-là, affirment-ils, Madrid était prêt à organiser un référendum parmi les Sahraouis, un calendrier avait été fixé, mais le Maroc a enrayé le processus en cours en présentant à l’ONU une motion demandant de porter l’affaire devant la Cour Internationale de La Haye. L’ONU a adopté cette motion, avec la voix de l’Algérie et alors que [Abdelaziz] Bouteflika, ministre algérien des affaires étrangères, présidait l’Assemblée générale. C’est le jugement rendu à La Haye qui a fourni au roi Hassan II un argument moral pour déclencher la “marche verte”.»

Ce rappel, d’une précision rare, éclaire les enchaînements diplomatiques qui ont précédé la Marche verte. M. Vanhecke ajoute, dans un fait révélateur, que jamais l’Occident n’a cru possible la création d’un État au sud du Maroc. «Un État sahraoui indépendant n’aurait pas été viable et serait devenu un client de l’Algérie. Il aurait créé un “foyer d’instabilité” dans la région. Les États-Unis partageaient cette opinion. Ils n’étaient pas intéressés par une extension de l’influence algérienne jusqu’à l’Atlantique, qui aurait affaibli le royaume chérifien. Il semble bien qu’ils soient intervenus de façon indirecte en faisant savoir qu’ils n’appuieraient pas Madrid dans un conflit avec Rabat. Paris aurait adopté la même attitude.»

Madrid, de son côté, avait une lecture encore plus tranchée de la situation: «Un État sahraoui indépendant aurait adopté la philosophie révolutionnaire de l’Algérie. Il aurait contribué à aggraver la menace qui pèse sur les Canaries.»

Le poids des chiffres et la vérité des faits

Quelques mois avant que la réalité qui prévalait ne bascule, un rapport demeuré longtemps confidentiel, le Censo-74, venait dresser un tableau démographique édifiant du territoire. Ce recensement, conduit par l’administration coloniale espagnole dans le second semestre de 1974, révélait un espace quasi vide: «Un total de 73 497 Sahraouis, dont 38 336 hommes et 35 161 femmes; 35 909 recensés (18 876 hommes et 17 033 femmes) ont plus de dix-sept ans. La densité moyenne est de 0,27 habitant par kilomètre carré.»

À cette époque, l’Espagne, soucieuse de se dégager d’un fardeau colonial devenu intenable, annonçait aux Nations unies son intention d’organiser un référendum d’autodétermination «au cours du premier semestre de 1975, dans le territoire du Sahara espagnol, sous les auspices et la garantie de l’ONU.»

Le roi Hassan II, alors au sommet de son autorité, s’opposa immédiatement à cette perspective en affirmant qu’il rejetterait toute consultation «si elle devait entraîner l’indépendance de ce territoire.» Et de déclarer, sans ambiguïté: «Nous n’admettrons en aucune manière de voir s’ériger dans la partie sud de notre pays un État fantoche [qui] ne serait autre que le Sahara sous administration espagnole.» Ces paroles résonnaient comme un serment politique autant que comme une ligne rouge historique. Elles allaient structurer toute la diplomatie marocaine des décennies suivantes.

En 1975, Le Monde notait que l’Algérie faisait «du Sahara une affaire nationale, concentre des troupes à la frontière, rappelle des réservistes, et mène une campagne de mobilisation populaire sans précédent, depuis son accession à l’indépendance. Pourquoi ? Quel objectif poursuit-elle ?» La question semblait rhétorique tant la réponse s’imposait d’elle-même: Alger n’acceptait pas qu’un royaume voisin, plus ancien, plus stable et plus influent, retrouvât son intégrité territoriale.

Derrière les discours idéologiques et les postures de façade, une évidence s’imposait déjà: la communauté internationale ne reconnaîtrait jamais un «État sahraoui» dont la seule fonction eût été de prolonger, vers l’Atlantique, la profondeur stratégique de l’Algérie, une dictature militaire dirigée sans ligne politique constante et livrée aux emballements des princes.

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