La jeunesse marocaine déserte les urnes, affronte les fractures territoriales et rêve d’une nouvelle élite politique à la veille des législatives de 2026, selon la Fondation Friedrich-Naumann

À un an des législatives de septembre 2026, le Maroc se trouve confronté à un paradoxe démographique et politique : plus de 50 % de ses habitants ont moins de trente ans, mais seuls 33,6 % des 18-24 ans étaient inscrits sur les listes électorales en 2021, contre 94,4 % des plus de soixante ans. Ce fossé générationnel se double d’un chômage des jeunes de 36,7 %, tandis que 8,75 millions de votants à peine – soit un peu plus d’un tiers de la population adulte – avaient participé au scrutin précédent. Plus d’un jeune Marocain sur deux déclare aujourd’hui envisager l’émigration, amputant le royaume de forces vives souvent mieux formées que leurs aînés. Selon la Fondation Friedrich-Naumann pour la liberté, cette triple menace – abstention, désillusion civique et exode des compétences – jette une ombre sur l’image qu’entend projeter le pays lorsqu’il accueillera la Coupe du monde de football en 2030.

À un an des élections législatives prévues en septembre 2026, le Maroc s’apprête à un rendez-vous politique majeur qui désignera les gouvernants lors de la Coupe du monde de football de 2030. Selon la Fondation Friedrich-Naumann pour la liberté (FNF), le royaume souhaite se présenter à cette occasion comme un État moderne et inclusif, mais cet objectif dépend de l’adhésion de la jeunesse, qui constitue plus de la moitié de la population.

La fondation observe que «plus de la moitié des Marocains ont moins de trente ans», ce qui fait de cette tranche «le plus grand atout et le plus grand défi du pays». En comparaison, l’âge moyen en Allemagne atteignait 44,6 ans en 2023. Mais, ajoute la FNF, cette promesse ne pourra se concrétiser que «si les voix de la jeunesse ne sont pas seulement entendues mais désirent l’être».

Abstention, chômage et tentation d’exil

Lors du scrutin de 2021, la participation atteignait 50 % des électeurs inscrits. La fondation précise toutefois que «ce chiffre ne correspond pas à l’ensemble des citoyens en âge de voter, mais uniquement à ceux qui avaient accompli l’effort préalable d’inscription». En réalité, seuls 8,75 millions d’électeurs se sont déplacés, soit un peu plus d’un tiers de la population adulte.

Le contraste entre générations est saisissant : «seulement 33,6 % des 18-24 ans étaient inscrits, contre 94,4 % des plus de soixante ans». La FNF en conclut que la jeunesse s’abstient en masse. À cela s’ajoute un chômage élevé : 36,7 % chez les moins de trente ans. Cet obstacle économique nourrit le désintérêt politique, car, note la fondation, «travailler et gagner sa vie importe davantage que participer à la vie publique». Plus de la moitié des 18-29 ans envisagent même d’émigrer, un phénomène préoccupant car ils sont généralement mieux formés que leurs aînés. Le Maroc se prive ainsi de compétences dont il a besoin, et l’image d’un pays hôte du Mondial 2030 se trouve écornée si ses propres jeunes songent massivement au départ.

Méfiance envers les institutions politiques et perception de l’inutilité du vote

Les obstacles administratifs freinent la participation. Contrairement à l’Allemagne, l’électeur marocain doit s’inscrire plusieurs semaines avant le scrutin. Mais le facteur décisif reste le déficit de confiance : «70 % des jeunes ne font pas confiance aux institutions élues et aux partis». Selon la fondation, ce scepticisme s’exprime non par la confrontation, mais par «un retrait silencieux». Des témoignages recueillis confirment ce désenchantement. Un jeune homme de 29 ans originaire de Tiznit estime que la jeunesse sait «combien le système et les politiciens sont corrompus» et ajoute : «Les jeunes du Maroc se désintéressent totalement de la politique, parce qu’ils savent que rien ne changera. C’est pour cela que nous ne votons pas.» Un étudiant de 20 ans à Tanger renchérit : «Les politiciens ne pensent qu’à leurs propres intérêts et n’ont aucun lien avec la réalité.»

Pourtant, ce désengagement ne signifie pas indifférence absolue. Un jeune de 25 ans de Nador reconnaît ne guère suivre la politique nationale, mais s’intéresse aux affaires internationales, échange sur les réseaux sociaux et consulte des débats sur YouTube. Il confesse néanmoins ne pas voter car «cela ne change rien puisque le Maroc est une monarchie.»

Méconnaissance des marges d’action

La FNF rappelle que le Maroc est une monarchie constitutionnelle. Le roi Mohammed VI, au pouvoir depuis 1999, n’exerce pas une autorité absolue mais un rôle défini par la Constitution de 2011. Le Parlement est élu, composé de formations variées et le chef du gouvernement désigné par ses rangs. Le souverain, commandeur des croyants, conserve cependant une prééminence dans les orientations essentielles, notamment en matière de diplomatie et il demeure la source de réformes marquantes, comme celle en cours du droit de la famille.

Ce prestige explique que certains jeunes considèrent le vote comme inutile, sous-estimant à tort l’influence du Parlement et des partis. Beaucoup ignorent également les instruments que leur confère la Constitution : «Depuis 2011, les pétitions sont possibles (art. 15), de même que les initiatives citoyennes (art. 14). Les communes peuvent créer des conseils de la jeunesse (art. 170).» À Agadir, un tel conseil existe depuis 2010 grâce à l’appui d’ONG.

Pourtant, l’information circule mal. La fondation estime que familles, écoles et partis devraient instruire davantage la jeunesse sur ces dispositifs. S’y ajoute la fracture territoriale : en zones rurales, les infrastructures manquent pour faire émerger des conseils de jeunes, d’où l’évocation récurrente d’un «Maroc utile» opposé à un «Maroc inutile». Un jeune de Beni Mellal n’a pas les mêmes chances d’expression qu’un habitant de Casablanca.

Les partis sont, de surcroît, jugés inopérants et éloignés des réalités. Le rapport souligne que les jeunes se sentent moins associés aux décisions qu’enfermés dans le rôle de «cible qu’il faut sensibiliser». Ils dénoncent une attitude condescendante des responsables politiques qui veulent «éduquer la jeunesse à voter» plutôt que de l’intégrer effectivement aux processus.

Nouvelles formes d’engagement et vitalité des contre-pouvoirs

Malgré cette défiance, la jeunesse conserve un intérêt marqué pour les questions publiques. Beaucoup s’investissent dans des associations et ONG. L’Association marocaine des droits humains (AMDH), malgré ses couacs politiques, ou l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) illustrent ce militantisme. Cette dernière a mené un plaidoyer stratégique et contribué, avec d’autres, à l’abrogation en 2014 de l’article du code pénal permettant à un violeur d’échapper à la sanction en épousant sa victime.

De tels succès expliquent que «70 % des Marocains fassent confiance aux institutions de la société civile, alors que 70 % des jeunes ne font pas confiance aux institutions publiques». L’espace numérique constitue un autre champ d’expression : les médias marocains se tournent vers Instagram ou d’autres réseaux, où les jeunes interviennent avec vigueur, critiquant autorités et élus. À Tanger, une page locale publie sur les problèmes quotidiens : sous un cliché de rues encombrées d’ordures, des internautes interpellent la municipalité pour agir. Sur des enjeux plus vastes, les débats en ligne sont également animés.

La fondation conclut que «les braises du printemps arabe ne sont pas totalement éteintes» et que la jeunesse conserve «le désir de s’impliquer». L’échéance du Mondial 2030 constitue une occasion unique d’afficher au monde l’image d’un pays ouvert. Mais la question demeure : l’État saura-t-il offrir à ses jeunes un rôle véritable dans la conduite des affaires publiques et la jeunesse saura-t-elle, en retour, surmonter sa défiance pour affirmer sa place dans la cité ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *