Des chercheurs marocains ont consacré une vaste étude à Zygophyllum gaetulum, plante saharienne aux usages thérapeutiques anciens. Leur travail, fondé sur des enquêtes menées auprès de guérisseurs du sud-est marocain, met en relief la permanence d’un savoir médicinal transmis de génération en génération et désormais examiné à la lumière de la science contemporaine.
Des chercheurs marocains issus des universités Moulay Ismaïl de Meknès, Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et Abdelmalek Essaâdi de Tétouan ont conduit une étude d’envergure consacrée au Zygophyllum gaetulum Emb. & Maire, plante emblématique du Sahara marocain. Publié dans la revue Ethnobotany Research and Applications (vol. 32:35, 2025), ce travail associe l’expertise de Maria El Ansari, Mariame Najem, Jamal Ibijbijen, Khalid Bouraada et Laïla Nassiri. Selon les données recueillies entre août 2023 et mars 2024 auprès de 56 praticiens traditionnels du cercle de Rissani (province d’Errachidia), «la flore saharienne marocaine constitue un patrimoine botanique d’une rare distinction, façonné par des siècles d’adaptation aux conditions extrêmes et porteur d’un savoir médicinal profondément enraciné».
Les auteurs observent que «le Zygophyllum gaetulum, connu localement sous le nom d’“agaaya”, est une espèce xérophyte caractéristique du désert marocain, utilisée depuis des générations pour soulager les affections digestives, dermatologiques et métaboliques». Leur objectif, précisent-ils, est «de valoriser scientifiquement le potentiel ethnopharmacologique de cette plante en combinant une approche qualitative et quantitative». L’étude repose sur des entretiens approfondis, menés en dialecte darija, auprès d’herboristes et de guérisseurs des oasis de Drâa-Tafilalet, région où cette espèce demeure omniprésente.
Selon les résultats publiés, «57,14 % des praticiens interrogés utilisent la plante à des fins thérapeutiques : 53,19 % pour les troubles digestifs, 29,79 % pour les affections cutanées et 8,51 % pour les dérèglements endocriniens et métaboliques». Les chercheurs précisent que «les feuilles, dotées d’une valeur d’usage de 0,610, et les tiges (0,325) sont les parties les plus recommandées, le plus souvent réduites en poudre (78,13 %) et administrées par voie orale (81,25 %) ou cutanée (68,75 %)».
L’importance de la plante au sein de la pharmacopée locale est confirmée par ses indices : «valeur d’usage (UV) = 0,839, fréquence relative de citation (RFC) = 0,5714, indice d’importance culturelle (CI) = 0,839», avec un «niveau de fidélité (FL) atteignant 78,125 % pour le traitement des troubles digestifs».
Une plante saharienne au cœur d’un savoir ancestral
Les chercheurs rappellent que «le Maroc, riche d’une biodiversité issue de la diversité de ses climats et de ses reliefs, abrite une flore saharienne remarquable par son adaptation aux contraintes arides». Parmi ces espèces, le Zygophyllum gaetulum – parfois nommé Tetraena gaetula – s’impose comme un emblème botanique. On le retrouve «du Cap-Vert au Mali, en passant par les Canaries, la Mauritanie, l’Algérie et le Sahara». Au Maroc, la plante prospère dans les provinces de Tan-Tan, Drâa-Tafilalet et Laâyoune, «résistant aux sols salins et aux amplitudes thermiques extrêmes».
Les auteurs soulignent que «cette espèce concentre des composés bioactifs susceptibles de lui permettre de survivre aux milieux les plus hostiles». Elle est «traditionnellement employée dans les pharmacopées sahariennes pour traiter les troubles hépatiques, gastriques et dermatologiques». Les travaux mentionnent également «la rareté des études ethnopharmacologiques consacrées à cette plante, notamment dans le cercle de Rissani, région carrefour entre le Nord marocain et le Sahara». Les chercheurs insistent sur le caractère singulier de cette zone : «territoire où se sont croisés Amazighs, Arabes musulmans, Juifs et Sahariens, donnant naissance à une culture médicinale plurielle et à un savoir transmis oralement».
La démarche scientifique adoptée repose sur une double phase d’enquête. «Les chercheurs ont mené des entretiens semi-structurés, enregistrés avec le consentement des participants, puis exploités à l’aide d’un questionnaire structuré autour de trois axes : données sociodémographiques, connaissances ethnobotaniques et usages thérapeutiques.» Cette approche, précisent-ils, «garantit la rigueur de la collecte et la fiabilité des résultats».
Les entretiens ont duré en moyenne vingt minutes. L’échantillon comprenait «29 herboristes recensés de manière exhaustive et 27 guérisseurs identifiés par la méthode de l’échantillonnage en boule de neige, jusqu’à saturation des données». Les praticiens consultés étaient tous originaires du cercle de Rissani et reconnus pour leurs compétences empiriques. La plante a été récoltée en mai 2024 aux coordonnées 31,267783° N / – 4,270501° E, à 763 mètres d’altitude. «Le spécimen a été identifié au laboratoire “Environnement et valorisation des ressources microbiennes et végétales” de la Faculté des sciences de Meknès, puis authentifié selon la Flore pratique du Maroc et la base Plants of the World Online.»
Méthodes d’usage, données chiffrées et portée culturelle
Les analyses statistiques ont été menées à l’aide des logiciels Excel 2021 et SPSS 26, avec recours au test du chi-carré et à celui de Fisher lorsque les effectifs étaient inférieurs à 5. «Les résultats dont la probabilité p était inférieure ou égale à 0,05 ont été jugés significatifs.» L’étude souligne que «les femmes jouent un rôle central dans la transmission du savoir phytothérapeutique : elles détiennent la mémoire domestique des remèdes et assurent la continuité des pratiques familiales». Selon les observations, «près de 70 % des praticiennes mentionnent la plante contre moins de 50 % des hommes».
La connaissance de l’agaaya se renforce avec l’âge et l’expérience. «Les praticiens de 40 à 60 ans constituent le groupe le plus versé dans l’usage de la plante, confirmant que le savoir empirique s’accroît avec le temps et la pratique.» Les chercheurs mettent toutefois en garde : «la transmission intergénérationnelle s’affaiblit ; il convient d’impliquer la jeunesse pour éviter la disparition de ce patrimoine thérapeutique.»
Le niveau d’instruction influence aussi la détention du savoir : «Les praticiens analphabètes ou formés par la tradition orale connaissent mieux la plante que les diplômés, qui tendent à privilégier les approches normalisées». Cette diversité de profils, notent les auteurs, «illustre la coexistence entre la tradition empirique et la connaissance formelle».
Les résultats quantitatifs indiquent que «les feuilles constituent la partie la plus exploitée, suivies des tiges ; les fleurs et les racines n’étant utilisées qu’occasionnellement». La forme en poudre domine (près de 80 %), en raison de sa commodité, de sa conservation aisée et de sa polyvalence : «elle se prête à l’ingestion, à l’application cutanée ou au mélange avec d’autres ingrédients».
Les modes d’administration révèlent «la prédominance de la voie orale (81,25 %), suivie de la voie cutanée (68,75 %) et, plus rarement, de la voie ophtalmique». La fréquence d’usage montre que «la plupart des préparations sont prises une fois par jour et poursuivies jusqu’à guérison complète», selon les praticiens interrogés.
Les auteurs signalent «la fragilité de la standardisation des doses : la cuillerée est la mesure la plus courante tandis que la poignée est réservée aux applications dermatologiques». Si cette souplesse témoigne d’une approche pragmatique, «elle comporte des risques, la toxicité d’une plante dépendant souvent de la dose, selon le principe énoncé par Paracelse : tout est poison, seule la dose fait le remède».
Données quantitatives et portée scientifique
Les investigations ont révélé un «taux de toxicité perçu de 12,5 %», rapporté par quelques praticiens. Néanmoins, la majorité «considère la plante comme sûre, sous réserve d’une préparation et d’un dosage appropriés». Des études antérieures avaient déjà observé que «l’extrait aqueux du Zygophyllum gaetulum ne présente pas de toxicité notable par voie orale».
Les auteurs insistent sur l’enjeu de santé publique : «l’absence de standardisation des doses et des procédés accroît le risque d’effets indésirables, notamment chez les sujets fragiles». Ils appellent à «une sensibilisation accrue des praticiens pour garantir un usage plus sûr et scientifiquement encadré». Sur le plan quantitatif, «la valeur d’usage (UV) = 0,839 indique la haute importance de la plante dans la pharmacopée locale, surpassant largement les résultats obtenus à Tarfaya (0,09) et Al Haouz (0,026)». Seule la région de Fès-Meknès atteint des valeurs comparables (UV = 1).
La «fréquence relative de citation (RFC) = 0,5714» montre que plus de la moitié des praticiens identifient la plante comme utile, tandis que «l’indice d’importance culturelle (CI) = 0,839» reflète la profondeur de sa diffusion dans la culture locale. Quant au «niveau de fidélité (FL)», il révèle «une spécialisation marquée pour les troubles digestifs (78,125 %), suivis des affections cutanées (43,75 %)».
Les chercheurs notent que «les feuilles représentent la partie la plus valorisée en raison de leur richesse en alcaloïdes, glycosides et huiles essentielles, substances issues des processus photosynthétiques ». Elles sont «faciles à cueillir et à sécher sans compromettre la survie de la plante », ce qui en fait «le choix privilégié des herboristes».
Le Zygophyllum gaetulum est souvent associé à d’autres plantes lors des préparations : «dans 53 % des cas, il est employé seul ; dans 47 %, il est combiné, notamment avec Artemisia herba-alba, Cuminum cyminum, Foeniculum vulgare ou Nigella sativa». Ces associations obéissent à une logique de «synergie », les praticiens estimant que «les effets bénéfiques des plantes se potentialisent mutuellement». Les auteurs rappellent les notions traditionnelles de «plantes chaudes et froides», issues de la médecine humorale. «L’agaaya, de nature “froide”, est souvent associée à des espèces “chaudes” pour équilibrer les effets des remèdes et éviter les irritations gastriques».
Héritage ethnobotanique et perspectives médicales
L’étude conclut que «le Zygophyllum gaetulum demeure une composante essentielle de la médecine saharienne traditionnelle, mais qu’il nécessite une évaluation pharmacologique approfondie pour en préciser les vertus et les limites». Les chercheurs considèrent que «le décalage entre l’usage empirique et la validation scientifique demeure considérable» et appellent à «des analyses biochimiques destinées à identifier les molécules actives ». Ils ajoutent que «la conservation de cette ressource végétale doit être assurée par des politiques durables, associant la régulation de la cueillette à la sensibilisation des populations locales». L’enjeu est de «préserver la ressource tout en perpétuant un savoir pluriséculaire».
Maria El Ansari et ses co-auteurs estiment que «le Zygophyllum gaetulum pourrait offrir des applications modernes, notamment dans la pharmacopée digestive et dermatologique, sous réserve d’une exploration toxicologique et chimique complète». Enfin, le texte scientifique affirme que «ce travail contribue à préserver un savoir local menacé et ouvre des perspectives pour une exploitation raisonnée de cette plante», invitant à «une collaboration multidisciplinaire entre ethnobotanistes, chimistes et médecins» pour «transformer la connaissance empirique en applications concrètes».