L’Algérie, prisonnière de ses intrigues internes, de ses démons familiers et de ses féodalités sécuritaires, pastiche désormais le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ, Maroc, antiterrorisme) pour conjurer les querelles d’ego et les règlements de comptes qui minent depuis des décennies son appareil de renseignement, devenu un large théâtre d’affrontements. Ce serait, disent les zélateurs du nouveau texte, le signe d’un État modernisé ; d’autres y voient plutôt la résurrection d’une bureaucratie de fer, décidée à pacifier le désordre qu’elle a elle-même enfanté.
Selon le site Africa Intelligence, «un nouveau décret, adopté en septembre 2025, élargit les pouvoirs judiciaires du renseignement». En une décennie, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), naguère simple auxiliaire du parquet, s’affirme «comme une force d’enquête autonome, symbole d’une centralisation sécuritaire croissante». Cette mutation confère au général Abdelkader Aït Ouarabi, dit Hassan, une place cardinale dans un dispositif où le secret d’État se confond désormais avec la procédure judiciaire.
Vers une police judiciaire au sein du renseignement
Le récent décret présidentiel bouleverse l’organisation du service d’investigation judiciaire de la DGSI, relevant du ministère de la défense. «Les services dirigés par Abdelkader Aït Ouarabi, dit “Hassan”, pourront désormais mener des enquêtes judiciaires, recevoir des plaintes, rassembler les preuves et agir avant même l’ouverture d’une procédure par la justice», rapporte Africa Intelligence.
Le texte substitue à l’ancien service d’investigation judiciaire un «service central de police judiciaire de la DGSI». Cette évolution, que le décret présente comme une simple précision administrative, consacre en réalité le transfert de missions de police judiciaire – jadis du ressort du ministère de la justice, aujourd’hui dirigé par Lotfi Boudjemaa – vers le domaine réservé du renseignement.
Toujours selon la même source, «rattaché à la défense, le renseignement échappe en grande partie au contrôle du parquet civil, créant un canal d’enquête parallèle, distinct du circuit judiciaire ordinaire». En intégrant au renseignement des brigades de police judiciaire, le président Abdelmadjid Tebboune «renforce la puissance d’un organe déjà central dans l’appareil d’État».
Une architecture sécuritaire qui feint l’efficacité
Cette évolution douloureuse, dont les résultats restent illusoires, parachève un long atermoiement entamé en 2014, lorsque l’ex-chef de l’État Abdelaziz Bouteflika avait instauré un service d’investigation judiciaire au sein du défunt Département du renseignement et de la sécurité (DRS), dirigé par Mohamed Médiène, dit “Toufik”. À l’époque, «le service agissait sous la supervision du procureur général et ses missions étaient strictement limitées à la prévention et à la répression du terrorisme, de la subversion, du crime organisé et des ingérences étrangères».
Mais le décret du 17 décembre 2019, signé par Abdelkader Bensalah, alors président par intérim, «avait supprimé les garde-fous, autorisant les enquêtes hors réquisitions judiciaires». Le texte du 25 septembre 2025 parachève cette lente mue, où le renseignement se substitue, peu à peu, au juge.
La DGSI, secouée ces derniers mois par le placement sous contrôle judiciaire de son ancien directeur Abdelkader Haddad, surnommé “Nacer El Djinn”, et par la fuite précipitée de ce dernier, connaît un nouvel équilibre. «Il a été remplacé par son ancien protecteur au sein du Service de coordination opérationnelle et du renseignement antiterroriste, le général Hassan», note Africa Intelligence.
Celui-ci, proche de “Toufik”, «avait subi les conséquences de la disgrâce du DRS en 2015». Réhabilité en 2021, «il se trouve désormais au centre de l’architecture sécuritaire algérienne». Une revanche cinglante pour cet officier que l’État avait jadis relégué dans l’ombre, et qui, aujourd’hui, incarne la résurgence d’un pouvoir de l’ombre devenu l’ossature même du système.