L’attitude de Washington envers le Sud «écarte les orientations de l’administration Biden» avec «des politiques très offensives à l’égard de l’Afrique du Sud», analyse le PCNS

Presque un an après son retour à la Maison-Blanche, l’administration de Donald Trump déploie une diplomatie d’une vigueur inattendue, marquée par une volonté affirmée de remodeler les équilibres avec le Sud global. Selon Ian Lesser, dans le Policy Brief n° 57/25 du Policy Center for the New South, publié en novembre 2025, «les États-Unis affichent peu de traces de l’isolationnisme qu’attendaient nombre de leurs partenaires internationaux, et que souhaitaient certains soutiens de Donald Trump». L’auteur estime que «du recours aux sanctions économiques aux opérations militaires, le président américain se révèle être un dirigeant de politique étrangère, bien que guidé par des réflexes profondément unilatéraux». Cette posture, ajoute-t-il, se manifeste «de manière particulièrement visible dans l’attitude de Washington envers le Sud, comprenant l’Amérique latine, les Caraïbes et l’Afrique», et consacre «une nette rupture avec les orientations de l’administration Biden».

Frictions autour des BRICS et tensions bilatérales

Ian Lesser observe que «les administrations américaines successives ont longtemps minimisé la portée des BRICS comme force collective», mais que le gouvernement Trump y voit «un groupement aligné contre les intérêts économiques et géopolitiques des États-Unis». Ce changement d’approche, souligne-t-il, a nourri «des politiques américaines très offensives à l’égard du Brésil et de l’Afrique du Sud». L’auteur précise que «l’activisme au sein du groupe BRICS est devenu emblématique de ce que le président Trump cherche à combattre sur la scène internationale : l’alignement sur la Russie et la Chine, et la création d’alternatives au dollar dans le commerce mondial».

Cette conception repose sur une logique explicite : «un ordre mondial défini par le mot d’ordre “America First” demeure foncièrement incompatible avec de nouvelles alliances cherchant à contester la primauté américaine». Malgré certaines réticences à l’égard des institutions de Bretton Woods, l’administration reconnaît «le levier considérable qu’elles confèrent encore à Washington».

Concernant le Brésil, l’étude relève que «les divergences sur le climat, les BRICS et la politique étrangère au sens large ont alimenté une relation conflictuelle entre Washington et Brasilia». Le président Trump aurait «exhorté à la fin des poursuites visant l’ancien chef d’État Jair Bolsonaro, accusé de complot et d’assassinats politiques après sa défaite de 2022», la Maison-Blanche jugeant «ces accusations politiquement motivées» et y voyant «des parallèles avec les événements du 6 janvier 2021 aux États-Unis». Cette proximité idéologique s’est traduite par «l’imposition de droits de douane élevés, qualifiés de punitifs, sur les produits brésiliens».

Les tensions sont comparables avec Pretoria, où «les divergences sur la guerre en Ukraine, sur Gaza et sur la politique à l’égard de la Russie» s’ajoutent à «des frictions idéologiques avec le Congrès national africain». Washington, écrit Lesser, s’est montré «particulièrement critique envers la politique d’autonomisation économique des Noirs, jugée discriminatoire sur une base raciale». En mars 2025, «l’expulsion de l’ambassadeur sud-africain à Washington, après ses propos hostiles au président Trump, a marqué un point bas dans la relation bilatérale».

Quant à l’Inde, autre pilier du Sud global, «la relation stratégique jadis florissante a été ébranlée par des sanctions tarifaires avoisinant 50 % en raison des importations de pétrole russe». Washington reproche également à New Delhi «les restrictions de visas ayant ralenti la mobilité étudiante et professionnelle vers les États-Unis». Le texte mentionne que «la dégradation rapide de cette relation tient à une combinaison de différends politiques et de heurts personnels entre deux dirigeants populistes», mais souligne qu’un «accord de coopération militaire sur dix ans a néanmoins été signé, confirmant la persistance d’une logique stratégique commune».

Doctrine Monroe, sécurité hémisphérique et tournant africain

Le rapport note qu’à Washington, «la doctrine Monroe est redevenue un thème central des débats sur la politique étrangère américaine envers le voisinage méridional». Elle se décline entre «un versant bienveillant et développemental» et «un versant plus autoritaire et de sphère d’influence». Les pays du Sud, rappelle l’auteur, «ont toujours perçu ces deux visages : le paternalisme et l’impérialisme».

Au sein du discours public américain, les questions liées au Sud ont repris une place éminente : «sécurité économique, migration, drogue et ordre public». La rhétorique électorale de 2024 plaçait la frontière au cœur du débat : «la perception d’une migration incontrôlée venue du Sud» dominait les esprits. Les opérations musclées menées par l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) ont, selon Lesser, «alimenté des inquiétudes sur l’État de droit et provoqué des effets disproportionnés sur les communautés latino-américaines».

Du point de vue des voisins du Sud, cette politique a engendré «des inquiétudes sur les retombées politiques et économiques des expulsions massives». Certains États d’Amérique centrale et du Sud dénoncent «une politique déstabilisatrice», où «la réduction de l’aide au développement et les restrictions migratoires forment un mélange toxique de préoccupations idéologiques et stratégiques».

L’administration Trump a aussi ravivé les tensions militaires dans la région. Dès le début de son mandat, le président a «menacé d’agir, y compris militairement, pour réaffirmer le contrôle américain sur le canal de Panama», en réaction aux «investissements chinois à grande échelle dans les ports voisins du canal». Par ailleurs, «au moins soixante-cinq personnes ont été tuées lors d’une vingtaine de frappes contre des trafiquants de drogue présumés dans les Caraïbes et le long de la côte pacifique». Ces opérations, qualifiées de «lutte contre les narco-terroristes», ont suscité «de graves interrogations sur leur légalité et leur proportionnalité», tout en assombrissant «les relations entre Washington et l’Amérique latine, notamment avec la Colombie».

Le déploiement de «moyens navals et aériens considérables, dont un groupe aéronaval transféré de la Méditerranée vers les Caraïbes», traduit la volonté de «préserver l’option d’un changement de régime au Venezuela». Une telle démarche, écrit Lesser, «ravive le souvenir des interventions américaines passées en Amérique latine et alimente la crainte d’un nouvel impérialisme régional». Même au sein du Parti républicain, «certains traditionalistes redoutent que des opérations transfrontalières, comme celles évoquées contre les cartels mexicains, ne se transforment en guerres sans fin à proximité du territoire américain».

Sur le continent africain, la Maison-Blanche a privilégié «un recentrage marqué sur les droits des minorités religieuses et raciales, notamment les communautés chrétiennes et blanches». L’auteur précise que «des décrets ont facilité la migration des demandeurs d’asile afrikaners vers les États-Unis» et que Washington a «menacé d’une intervention militaire au Nigeria pour protéger les chrétiens visés par les mouvements jihadistes».

Cette politique s’accompagne d’un «basculement de l’aide vers le commerce». Le document signale «une méfiance prononcée à l’égard de l’aide au développement traditionnelle», les États-Unis préférant «inciter d’autres acteurs – Europe, Japon, Türkiye – à combler le vide laissé». Le démantèlement de l’USAID et le transfert de ses activités au Département d’État ont déjà «affecté la sécurité alimentaire et la santé publique dans plusieurs pays africains».

En matière commerciale, l’administration s’attache à «favoriser la Prosper Africa et les investissements dans les infrastructures et les ressources naturelles», tout en présentant «ces programmes comme des instruments de sécurité nationale». Washington maintient toutefois «la rivalité stratégique avec la Chine et la Russie comme cadre structurant de sa politique africaine». L’accès aux «matières premières critiques» et «les craintes liées à la dépendance envers les chaînes d’approvisionnement chinoises» demeurent des préoccupations centrales, de même que «la lutte antiterroriste au Sahel, en Afrique de l’Ouest et dans la Corne de l’Afrique».

Enfin, l’auteur constate qu’après une année de mandat, «l’administration Trump, pourtant centrée sur la sécurité intérieure et le mot d’ordre America First, s’est illustrée par une activité internationale intense». Outre la Chine, la Russie, l’Iran et Gaza, «les relations avec les pays du Sud témoignent d’une diplomatie tourmentée, dominée par les personnalités et les calculs internes». Ces relations, conclut-il, «seront moins inspirées par des idéaux et davantage façonnées par des considérations nationales et sécuritaires».

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