Le Maroc impose sa diplomatie pragmatique et convertit ses relations internationales en dispositifs de négociation, plaçant migrations, énergie et partenariats sécuritaires au service de sa souveraineté. Selon le Middle East Institute, Rabat a accru depuis 2020 son influence sur le Sahara, obtenant l’appui ou l’alignement de 116 États grâce à des accords ciblés, tout en testant de nouvelles méthodes pour peser sur l’Europe et protéger ses intérêts nationaux.
Le Maroc, au premier rang des États nord-africains, a fait de la diplomatie pragmatique un axe majeur de son action extérieure. Selon une analyse approfondie signée par Intissar Fakir et publiée par le Middle East Institute (MEI), «les gouvernements d’Afrique du Nord, le Maroc en tête, transforment de longues relations diplomatiques en instruments de consultations et d’ententes, mobilisant interactions interétatiques, approvisionnements énergétiques et partenariats sécuritaires comme leviers». Cette mutation se déploie dans un contexte où l’Occident resserre son champ d’action et où les dirigeants régionaux affirment avec vigueur leur souveraineté.
Le Maroc, fer de lance d’une diplomatie pragmatique centrée sur le Sahara
Le texte du MEI insiste sur le rôle précurseur du Maroc, affirmant que «le caractère transactionnel est devenu la marque des principales démarches diplomatiques du royaume, qu’il s’agisse de la normalisation avec Israël, des relations avec l’Union européenne (UE) ou de ses liens avec les monarchies du Golfe.» L’exemple du Sahara illustre au mieux cette orientation. Le rapport constate qu’«à partir de 2020, Rabat a obtenu de 116 États un appui, une reconnaissance ou un alignement sur son plan d’autonomie, contre seulement 37 en 2010». Cette progression remarquable repose sur des accords ciblés : ouverture de marchés pour les engrais, partenariats bancaires, programmes éducatifs ou incitations économiques diverses. Le MEI souligne que «ces accords ont profondément modifié l’architecture internationale entourant le conflit».
Pour le MEI, la stratégie marocaine repose sur une formule simple : accumuler des succès immédiats mais aussi les partenariats de long terme. Elle permet d’obtenir un soutien international accompagné d’une transformation institutionnelle profonde, en attendant de régler la question fondamentale du Sahara au sein des Nations unies.
Algérie, Tunisie et Égypte : des déclinaisons diverses du même modèle
Si le Maroc illustre de manière emblématique la diplomatie pragmatique, ses voisins suivent peu ou prou cette voie, chacun à sa manière. L’Algérie, souligne le MEI, s’est éloignée d’une diplomatie fondée sur des principes idéologiques pour se tourner vers des calculs plus pratiques. Le rapport observe qu’«Alger est passée du statut d’exportateur d’énergie soucieux d’éviter l’engagement politique à celui d’acteur recourant à la diplomatie énergétique pour accroître son poids géopolitique.» Une philosophie qui a subi un échec cuisant avec les crises successives vécues avec Madrid, Paris, Bamako ou encore les pays du Sahel.
La Tunisie, quant à elle, illustrait jusqu’en 2021 la possibilité d’associer légitimité démocratique et efficacité diplomatique. Mais, selon le rapport, «avec l’effondrement du processus démocratique et la crise économique aiguë, les transactions ont largement supplanté les objectifs de principe.» Le MEI évoque l’épisode de 2023 lorsque plus de 12 000 Tunisiens débarquèrent à Lampedusa, à la suite de propos xénophobes et de mesures répressives du président Kais Saied contre les migrants. L’institut souligne que «l’Union européenne, loin de sanctionner ces dérives, annonça des financements importants pour la mise en œuvre de son accord avec Tunis, y compris un appui budgétaire, malgré les atteintes aux droits fondamentaux.»
L’Égypte adopte une stratégie hybride. Le MEI note que «le président Abdel Fattah el-Sisi combine des accords pragmatiques, tels que des ventes d’actifs aux Émirats arabes unis, avec la volonté de maintenir un rôle de chef de file régional.» L’exemple du Forum du gaz de la Méditerranée orientale est cité comme révélateur de cette double démarche. «Ce forum illustre un effort pour promouvoir la coopération énergétique régionale tout en servant les besoins économiques immédiats du Caire». Toutefois, l’institut précise que «le forum n’a pas encore permis de réaliser l’ambition de bâtir une structure régionale pour transporter le gaz vers l’Europe, mais il renforce l’image de l’Égypte comme acteur diplomatique central.»
Une souveraineté proclamée et expérimentée par étapes
Au-delà de chaque cas national, le MEI insiste sur la mécanique commune qui traverse la région. «Les politiques axées sur la souveraineté constituent un processus d’expérimentation et non une stratégie pleinement formée. Les États testent diverses méthodes d’affirmation de leur autonomie, ce qui explique la diversité des résultats.» Cette tendance bénéficie d’un appui populaire. «Les opinions publiques expriment une sensibilité accrue aux questions de souveraineté et attendent des politiques qui renforcent l’indépendance nationale.» C’est dans ce cadre que les gouvernements exploitent les vulnérabilités occidentales. L’Europe dépend de l’Afrique du Nord pour l’approvisionnement en gaz et pour le contrôle des flux migratoires.
Le cas tunisien est à nouveau cité : l’UE, soucieuse de contenir les départs, a évité de presser le président actuel sur ses dérives autoritaires. De même, l’Algérie a tiré parti de la crise énergétique provoquée par l’invasion de l’Ukraine en 2022. Le rapport rappelle toutefois que «le poids acquis par Alger dans ce contexte n’a pas été mobilisé pour transformer ses orientations extérieures et demeure tributaire des fluctuations des marchés.»
Efficacité immédiate pour Rabat
Concernant le Maroc, l’étude note que «la stratégie sur le Sahara a atteint un niveau inédit de reconnaissance bilatérale, mais elle n’a pas réglé la question dans le cadre des Nations unies.» L’Algérie a tiré avantage de son rôle énergétique mais sans en faire un outil de politique étrangère durable. La Tunisie a bénéficié de soutiens financiers immédiats, au prix d’un effacement des exigences démocratiques. L’Égypte, enfin, maintient une visibilité régionale grâce au Forum du gaz, mais ses ambitions restent inachevées.
L’étude, tout en insistant sur le caractère évolutif de ces pratiques, décrit une rupture avec la diplomatie antérieure. «Autrefois, les démarches régionales étaient plus globales et nourries d’une vision politique. Désormais, les États privilégient des victoires rapides, jugées essentielles à la stabilité et à le mouvement des pouvoir politique et de leurs diplomaties.»