Le régime fiscal marocain vit sous les doctrines fiscales internationales

Le Maroc a jusqu’à fin 2020 pour adapter sa législation fiscale aux normes européennes. Les griefs de Bruxelles concernent les zones franches préférentielles qui sont considérés par l’UE comme des « espaces de concurrence déloyale ».

Les mesures fiscales imposées au Maroc par les institutions monétaires internationales, telles que l’OCDE, la Banque mondiale et le FMI, défient la souveraineté du pays et reflètent la soumission des gouvernements marocains islamistes devant les exigences de ces organismes. C’est un rappel de la cure d’austérité, actée par Benkirane en 2012 et renouvelée par El Othmani après sa nomination à la tête des deux dernières architectures gouvernementales.

L’Union européenne (UE) a publié, le 18 février, la dernière mise à jour de sa liste des paradis fiscaux. Pour la quatrième année consécutive, le Maroc a été placé dans la liste grise des paradis fiscaux. En effet, l’UE considère comme dommageables le régime fiscal de l’export et le régime des zones franches aux côtés du statut de Casablanca Finance City (CFC).

A l’origine, c’est l’Union européenne qui avait recommandé au Maroc d’instaurer des régimes de faveur puisqu’à l’époque, les zones franches correspondaient à leur vision de sous-traitance internationale. Une entreprise européenne qui s’installait au Maroc avait avantage à avoir un régime d’exportations intéressant. Toutefois, depuis qu’on parle de problèmes de délocalisation et de l’impact sur l’emploi en Europe, les grandes puissances européennes ont changé de position et de stratégie et considèrent dorénavant que ces avantages accordés aux exportateurs reflètent une concurrence fiscale déloyale en les mettant au même plan que les paradis fiscaux. Le Maroc est ainsi devenu hors-la-loi fiscale internationale à cause de réformes qui lui ont été imposées par l’UE.

L’on se rappelle tous des propos de l’ex-Commissaire européen aux affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, qui, lors des troisièmes Assises de la fiscalité, début mai 2019 à Skhirat, a indiqué que si le Royaume veut sortir de la liste grise des paradis fiscaux de l’UE, il doit renoncer à ses régimes de faveurs. Ainsi, pour sortir cette fois-ci de la liste grise, le Maroc s’est engagé à corriger trois régimes fiscaux préférentiels, à savoir ceux des zones franches d’exportation, des entreprises exportatrices et celui de Casablanca Finance City. Chose promise, chose due. Cependant, la suppression de ce cadre illustre à quel point le régime fiscal marocain continue de vivre sous la pression et la doctrine fiscales européennes et internationales.

Soulignons que la Loi de Finances 2020 a instauré un nouveau régime fiscal pour les entreprises sous statut CFC. Elle a ainsi révisé, dans le cadre des mesures spécifiques à l’impôt sur les sociétés, les dispositions applicables au résultat fiscal de ces sociétés ainsi qui à leurs dividendes distribués. En effet, l’UE a longtemps fait pression sur le gouvernement marocain pour revoir la fiscalité des zones franches. Des pressions auxquelles l’Exécutif a décidé de se soumettre en supprimant le concept de zones franches et en les remplaçant par celui de zones d’accélération industrielle.

Par conséquent, deux régimes fiscaux coexistent pour les entreprises sous statut CFC. Celles qui bénéficient de ce statut avant le premier janvier 2020 ont néanmoins la possibilité de choisir. Elles peuvent soit continuer à profiter de l’ancien régime, soit adhérer de manière irrévocable au nouveau. Ainsi, les entreprises vont faire leur calcul et tenir compte de l’exonération de la retenue à la source sur dividendes. En ce qui concerne les entreprises installées dans les zones d’accélération industrielle, à compter du 1er janvier 2021, ainsi que les sociétés de services ayant le statut « Casablanca Finance City » (CFC) créées à partir du 1er janvier 2020, elles seront imposées au taux uniforme de 15%, au-delà de la période d’exonération quinquennale, sans distinction entre le chiffre d’affaires local et celui réalisé à l’export.

Toutefois, il faut savoir que l’abolition des régimes fiscaux de faveur a commencé il y a deux ans avec la suppression du statut des banques et des holdings offshore dans la Loi de Finances 2019. Elles bénéficiaient d’un impôt de 10% sur les sociétés et d’un forfait libératoire égal à l’équivalent de 25.000 dollars par an durant les 15 premières années. Les banques pouvaient, toutefois, continuer à exercer des activités offshore en s’acquittant des impôts selon le régime de droit commun. Ce régime préférentiel a été abrogé fin 2018. Selon la Direction générale des impôts (DGI), l’évaluation du régime fiscal des sociétés holdings offshore a relevé des résultats peu concluants, ce qui a poussé l’Exécutif à ne pas le reconduire. En effet, beaucoup de dispositifs fiscaux ont été jugés préjudiciables par les partenaires européens parce qu’ils favoriseraient des secteurs qui attaquent le marché européen et concurrencent ses acteurs. L’adoption de cette mesure a été encouragée par le rapport de l’Union européenne (UE), publié en 2018, selon lequel le Maroc a été placé dans une zone grise peu reluisante quant à l’usage des exonérations fiscales.

Afin de s’aligner sur les « normes fiscales internationales, les standards de l’OCDE et les règles du code de conduite de l’Union européenne », le Maroc a été contraint de faire des efforts conséquents dans le projet de la Loi de Finances 2020. Outre la requalification des zones franches et la révision de leur fiscalité, le Maroc a relevé les impôts sur les sociétés (IS). Par conséquent, le gouvernement a dû accorder de nouvelles concessions concernant trois compartiments du système fiscal. Il s’agit du régime des exportateurs, les zones franches ainsi que les entreprises sous statut CFC. Ainsi, l’exonération quinquennale de l’IS a été supprimée ainsi que le taux réduit de 17,5%, relevé à 20%.

S’agissant des Impôt sur les sociétés (IS), la Loi de Finances 2020 instaure la suppression pour les nouvelles entreprises exportatrices de l’exonération de 5 ans en matière de l’IS, concernant le chiffre d’affaires réalisé à l’exportation. Toutefois, les sociétés industrielles continuent à bénéficier pour leur chiffre d’affaires global, d’une exonération totale, pendant les 5 premiers exercices suivant la date du début de leur exploitation. En outre, le taux de 20% est venu remplacer le taux de 17,5% pour les entreprises générant des bénéfices se situant entre 300.000 dirhams et 1.000.000 dirhams. Toutefois, est fixé à 20% le taux appliqué à la tranche dont le montant du bénéfice net est supérieur à 1.000.000 de dirhams. 

Par ailleurs, le projet décret 2-17-757 prévoyant l’extension des avantages fiscaux des exportateurs, qui a été adopté jeudi 29 mars 2018 en Conseil de gouvernement, est, également, passé à la trappe. Ce texte précise les modalités dans lesquelles les exportateurs indirects bénéficieront des avantages fiscaux de l’export. Il s’agit de l’application de l’exonération de l’IS et de l’IR pendant les cinq premiers exercices et de l’application d’un taux réduit de manière permanente. Ce dispositif s’inscrivait dans le cadre de la stratégie d’accélération industrielle et ciblait l’intégration des écosystèmes avec leurs fournisseurs, mais aussi l’intégration des zones franches d’exportation avec les entreprises industrielles établies dans le territoire national.

Et ce n’est pas seulement l’UE ou l’OCDE qui mettent la pression sur le Maroc. En effet, le chantier fiscal fait partie des réformes demandées par le FMI. Les gouvernements Benkirane et El Othmani se sont inclinés devant le cette institution monétaire et ont surendetté le Maroc. D’ailleurs, la visite de la Directrice générale du FMI, Kristina Georgieva, au Maroc confirme les exigences du FMI en matière de ses fameuses « conditionnalités ». Elle rappelle également les « packages du FMI », que l’institution recommande au Royaume depuis les années 80. Dans ce contexte, la DG du FMI s’est entretenu avec Saâdeddine El Othmani, Chef du gouvernement, Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Economie et des Finances, et avec Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib.

Par ailleurs, le Maroc a fait appel à ce Fond en août 2012 pour bénéficier d’une Ligne de précaution et de liquidité (LPL) de 6,2 milliards de dollars. Depuis lors, la reconduite de cette Ligne est présentée comme « un signe de confiance » de la part de cette institution. Toutefois, ces mesures sont le prolongement du Programme d’ajustement structurel, le citoyen marocain paie le prix fort de cette énième cure d’austérité. En effet, le renouvellement de la LPL a installé le pays dans une relation pernicieuse avec le FMI, lequel peut désormais imposer au pays des conditions qu’il était incapable d’imposer auparavant, comme c’est le cas par exemple de la « flexibilisation » du régime de change du dirham.

A noter que dans le cadre du renouvellement de la LPL, le Maroc a pris un certain nombre d’engagements. Ils ont été détaillés dans le rapport pays publié par le FMI le 24 janvier. Parmi ces engagements, qui sont en réalité des conditionnalités imposées par le FMI : porter la croissance économique à un niveau supérieur aux réalisations actuelles qui tournent autour de 3% et ramener le déficit budgétaire à 3% du PIB en 2020 et la dette du Trésor à 60% du PIB à moyen terme. La visite de la la Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristina Georgieva, au Maroc servira donc à rappeler ces exigences pour accélérer leur adoption effective. Dans ce contexte, le communiqué du FMI indique clairement qu’elle aura des rencontres avec de hauts responsables marocains.

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