L’élan des capitaux étrangers et les ambitions sahéliennes de Rabat se confirment, mais les difficultés réglementaires et la prégnance de l’informel demeurent un défi, selon la diplomatie américaine

Le Maroc a vu les investissements directs étrangers progresser de 50,7 % durant les neuf premiers mois de 2024 pour franchir 1,6 milliard de dollars, alimentés en grande partie par les capitaux français qui représentent 61,4 % du total. Cette reprise tranche avec l’effondrement constaté en 2023, lorsque les flux s’étaient réduits de moitié, tombant à 1,1 milliard de dollars contre 2,6 milliards l’année précédente. Le rapport Investment Climate Statement for Morocco 2025 attribue cette évolution à l’essor de secteurs tels que l’industrie, l’immobilier et le tourisme, qui demeurent les principaux récipients des apports étrangers. Toutefois, cette embellie se heurte à de profondes fragilités : une bureaucratie décrite comme inefficace, une corruption persistante, un chômage des jeunes atteignant 36,7 % et une économie informelle omniprésente couvrant près de 70 % de l’activité professionnelle.

Le Département d’État des États-Unis a publié en septembre 2025 son rapport Investment Climate Statement for Morocco 2025, qui décrit le Maroc comme étant placé «à la confluence de l’Europe, de l’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient» et cherchant à devenir «un pôle industriel et commercial régional». Le texte affirme que Rabat met à profit «sa position géographique stratégique, sa stabilité politique et ses infrastructures» afin de se développer en tant que base régionale de production et d’exportation. Selon le rapport, «le Maroc encourage activement et facilite l’investissement étranger, notamment dans les secteurs exportateurs comme la fabrication, grâce à des politiques macroéconomiques positives, à la libéralisation du commerce, à des incitations à l’investissement et à des réformes structurelles».

Le document explique que les autorités poursuivent une politique destinée à «stimuler l’emploi, attirer les capitaux étrangers et accroître les performances économiques». Les branches jugées clés sont mentionnées : «les énergies renouvelables, l’automobile, l’aéronautique, le textile, la pharmacie, l’externalisation et l’agro-industrie». Le texte précise, sur la base des données de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), que «les investissements directs étrangers (IDE) entrants au Maroc ont diminué de moitié en 2023, à 1,1 milliard de dollars contre 2,6 milliards en 2022». Mais selon les chiffres nationaux, «les IDE entrants ont augmenté de 50,7 % durant les neuf premiers mois de 2024, atteignant plus de 1,6 milliard de dollars», principalement en provenance de la France qui représente «61,4 % du total net des IDE». Les secteurs moteurs furent «l’industrie, l’immobilier et le tourisme». Dans le même temps, «les investissements directs marocains à l’étranger ont montré un modeste flux sortant net de 176 millions de dollars».

Le rapport souligne que le Maroc se présente comme la «porte d’entrée de l’Afrique pour les investisseurs». Il rappelle que, dans la perspective de la Coupe d’Afrique des Nations prévue en décembre 2025 et de la Coupe du Monde de football de 2030 organisée avec l’Espagne et le Portugal, le Maroc engage «d’importants projets d’infrastructure, tels que les routes, le rail, les télécommunications et l’expansion des aéroports, ainsi que la construction de nouveaux ports comme Nador West Med et Dakhla Atlantic». Ce dernier port doit «relier les États sahéliens enclavés à l’océan Atlantique dans le cadre de l’Initiative atlantique du pays».

Toutefois, le document identifie plusieurs entraves : «une bureaucratie inefficace, la corruption et la lenteur des réformes réglementaires». Il ajoute que le Maroc n’impose pas de filtrage spécifique des investissements dans des secteurs jugés critiques tels que «les télécommunications, les minerais stratégiques et les terres rares, ainsi que les énergies renouvelables».

Selon le rapport, le Maroc continue d’investir dans les énergies renouvelables et le secteur numérique. Le «Nouveau modèle de développement» publié en 2021 a fixé comme objectif de porter «la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie de 19,5 % en 2021 à 40 % d’ici 2035». Les opportunités d’investissement incluent «les réseaux intelligents, l’hydrogène vert, le stockage d’énergie et les énergies renouvelables». En septembre 2024, le Maroc a lancé la «Stratégie numérique 2030» afin de «transformer le pays en leader numérique et stimuler la croissance économique, avec pour ambition de créer 240 000 emplois et de former 100 000 jeunes par an dans le secteur numérique».

Le texte met en avant que le Maroc est «le seul pays du continent africain à disposer d’un accord de libre-échange avec les États-Unis». Depuis son entrée en vigueur, «le commerce bilatéral de biens a presque été multiplié par huit». Les deux gouvernements coopèrent étroitement pour développer les échanges et les investissements à travers «des consultations de haut niveau, un dialogue bilatéral et divers forums».

Réformes juridiques et incitations à l’investissement

Le rapport expose que le Maroc favorise l’investissement étranger par «des politiques macroéconomiques, la libéralisation du commerce, des réformes structurelles, l’amélioration des infrastructures et des incitations offertes aux investisseurs». La Charte d’investissement, qui régit les flux domestiques et étrangers, a été révisée : l’ancien texte de 1995 (loi 18-95) a cédé la place à une nouvelle charte adoptée en décembre 2022 par la loi-cadre 03-22. Le premier décret d’application (n° 2.23.1) a fixé «l’architecture de soutien à l’investissement et les primes sectorielles et géographiques». Un second décret cible «les très petites, petites et moyennes entreprises».

La nouvelle charte «élargit les incitations, comme des avantages financiers visant à réduire les coûts des investisseurs étrangers». Elle prévoit de «porter la part de l’investissement privé aux deux tiers d’ici 2035», et comporte «des incitations supplémentaires pour attirer des capitaux dans certains secteurs et dans des régions historiquement défavorisées». Le texte ajoute que le gouvernement soutient le développement d’industries jugées stratégiques comme «la défense et la pharmacie».

Le ministère de l’investissement, de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques supervise l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE), qui coordonne ses efforts avec les centres régionaux d’investissement (CRI). Les CRI mettent à disposition des informations sur «les cartes d’investissement, les secteurs prioritaires, les procédures de création d’entreprise, les coûts de production, les lois et règlements applicables et le climat général des affaires». L’AMDIE et les CRI collaborent à toutes les étapes d’un projet. Le rapport explique que «les commissions régionales d’investissement examinent les dossiers et transmettent leurs recommandations à l’AMDIE». Le comité interministériel de l’investissement, pour lequel l’AMDIE fait office de secrétariat, valide «tout accord nécessitant un financement public». Les CRI assurent aussi un service après-installation afin d’accompagner les investisseurs et résoudre les problèmes.

Le Maroc applique la Déclaration de l’OCDE sur l’investissement international et les entreprises multinationales, garantissant l’égalité de traitement, sauf dans certains secteurs fermés aux étrangers. Le point de contact national pour la conduite responsable des entreprises (NCP), dont l’AMDIE assure le secrétariat, veille à l’application de ces engagements.

En matière de contrôle, les limitations sont ciblées. Le Maroc impose un plafond de 49 % aux participations étrangères dans le transport aérien et maritime. Les étrangers ne peuvent pas posséder de terres agricoles, bien qu’ils puissent les louer pour 99 ans. L’État conserve le monopole de l’extraction des phosphates via l’Office chérifien des phosphates (OCP), détenu à 95 %. L’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) conserve une part obligatoire de 25 % dans tout permis d’exploration ou de développement.

Le rapport relève que le Maroc a conclu de nombreux accords internationaux. L’Organisation mondiale du commerce a publié un examen de la politique commerciale du Maroc en 2023, et l’OCDE une étude économique en novembre 2024. Le Maroc est signataire de l’Accord de facilitation de l’investissement de l’OMC et a amélioré son score dans l’Index of Economic Freedom en 2025, grâce à des réformes encourageant «un secteur privé plus dynamique et une compétitivité accrue».

Concernant les procédures, le texte souligne que Rabat permet «l’enregistrement en ligne des entreprises via le portail national géré par l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC)». Les entreprises étrangères peuvent s’y inscrire, mais doivent fournir certains documents traduits en arabe et apostillés. Le rapport insiste sur la priorité donnée aux investissements marocains en Afrique. OCP Africa, filiale du groupe public OCP, est implantée dans seize pays et investit dans les infrastructures liées au phosphate. Selon les données nationales, «les investissements marocains à l’étranger ont atteint 7,3 milliards de dollars en 2022, la Côte d’Ivoire représentant 15 % du total». Le texte mentionne également la réforme des règles de change en janvier 2024, qui a libéralisé davantage les opérations financières extérieures.

Le Maroc, selon la même source, dispose de plus de cinquante traités bilatéraux d’investissement et a signé de nombreux accords commerciaux. En 2025, plusieurs réformes fiscales ont été introduites, telles que «l’extension des exonérations d’impôt pour les stages, la réforme progressive de l’impôt sur les sociétés et l’introduction d’incitations fiscales valables jusqu’au 31 décembre 2026».

Défis institutionnels, entreprises publiques et corruption

Le document décrit un système juridique hybride, mêlant droit civil d’inspiration française et droit islamique. Les litiges commerciaux relèvent des tribunaux de commerce, mais le rapport note que «le manque de formation des juges en matière économique constitue un obstacle». Les procédures de règlement des litiges sont souvent longues et coûteuses. Les tribunaux commerciaux reconnaissent cependant «les sentences arbitrales étrangères». Le Maroc est partie à la Convention de New York et au CIRDI, ce qui garantit la reconnaissance internationale des arbitrages.

La charte d’investissement de 2022 prévoit un système de soutien aux projets à travers trois volets : un schéma commun, un schéma territorial et un schéma sectoriel. Le premier accorde une subvention correspondant à un pourcentage de l’investissement en fonction du nombre d’emplois, de la dimension de développement durable ou du contenu technologique. Le second prévoit des incitations pour les provinces moins favorisées. Le troisième offre jusqu’à 5 % du montant investi dans des secteurs jugés prioritaires comme «l’industrie, le tourisme et les industries culturelles».

Les investissements d’au moins deux milliards de dirhams peuvent obtenir le statut stratégique s’ils contribuent «à la sécurité hydrique, énergétique, alimentaire ou sanitaire, ou s’ils créent un nombre important d’emplois».

Le rapport souligne que le Conseil de la concurrence dispose de pouvoirs d’enquête et de sanction. En février 2025, la Cour d’appel de Casablanca a condamné Maroc Telecom à une amende de «6,4 milliards de dirhams pour pratiques anticoncurrentielles».

Le Maroc compte environ 271 entités publiques en 2024. Une nouvelle agence, l’ANGSPE, supervise 57 d’entre elles. L’État prévoit en 2025 un budget de «138 milliards de dirhams (près de 13 milliards de dollars) pour soutenir ces entreprises». Le texte rappelle que certains secteurs restent sous monopole public, comme «le rail, une partie des services postaux et les aéroports». L’OCP conserve l’exclusivité des phosphates.

Le rapport accorde une large place à la corruption. En 2024, le Maroc occupait le 99ᵉ rang mondial, contre le 94ᵉ l’année précédente. Le parquet a traité 262 affaires de corruption au premier semestre 2024, dont 37 impliquant des forces de sécurité. La ligne téléphonique anticorruption a reçu 4 461 appels en huit mois. Le Baromètre arabe a révélé que 74 % des Marocains estiment la corruption répandue dans les institutions.

Le texte souligne, entretemps, que la loi 46-19 de 2021 a renforcé les pouvoirs de l’Autorité nationale de probité, de prévention et de lutte contre la corruption (INPPLC). Le roi Mohammed VI a ordonné en janvier 2024 l’élaboration d’un code d’éthique parlementaire. Enfin, la question sociale demeure centrale. Le chômage atteignait 13,3 % en 2024, avec un taux de 21,3 % selon le recensement. Chez les jeunes de 15 à 24 ans, il culminait à 36,7 %. Le marché informel représente 70 % de l’emploi. Le Code du travail interdit les licenciements sans motif valable, et les tribunaux tendent à juger en faveur des salariés.

Le rapport conclut sur la coopération avec les États-Unis. La Société américaine de financement du développement (DFC) a accordé en 2023 un financement de 9,3 millions de dollars pour un entrepôt frigorifique. À l’approche de la Coupe du Monde 2030, la DFC prévoit de soutenir d’autres projets d’infrastructure afin de développer les liens économiques bilatéraux.

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