À la suite de l’adoption de la résolution 2797 par le Conseil de sécurité le 31 octobre 2025, consacrant la centralité de la proposition marocaine d’autonomie au Sahara, l’Algérie a multiplié les déclarations pour présenter le texte comme un échec des objectifs marocains. Dans une série d’interviews accordées aux médias algériens, dont le thème exclusif était la résolution 2797, le ministre des affaires étrangères Ahmed Attaf a développé une lecture de la résolution qui se veut rassurante pour l’opinion publique algérienne. Pourtant, confronté au texte de la résolution, ce discours révèle d’importantes distorsions entre la réalité diplomatique et la communication politique.
La vérité maltraitée
Attaf a affirmé sans ambages que «dans le dispositif, il n’y a plus aucune référence à la souveraineté marocaine». Or, la résolution 2797 dit exactement le contraire. Dans le préambule, le paragraphe 4 prend note «du soutien exprimé par de nombreux États membres en faveur du plan d’autonomie proposé par le Maroc et présenté le 11 avril 2007 au secrétaire général comme la base d’un règlement juste, durable et mutuellement acceptable du différend», avant d’affirmer «qu’une véritable autonomie sous souveraineté marocaine pourrait être une solution des plus réalistes».
Plus significatif encore, le paragraphe 2 du dispositif opérationnel, c’est-à-dire la partie juridiquement contraignante de la résolution, «appuie pleinement les efforts que font le secrétaire général et son envoyé personnel pour faciliter et conduire les négociations en se fondant sur le plan d’autonomie proposé par le Maroc pour parvenir à un règlement juste, durable et mutuellement acceptable du différend, conformément à la charte des Nations unies». Le Conseil, en outre, dit attendre «avec intérêt de recevoir les propositions constructives que lui feront les parties au regard du plan d’autonomie».
Le paragraphe 3 enfonce le clou en demandant «aux parties de participer aux discussions sans conditions préalables et sur la base du plan d’autonomie proposé par le Maroc afin de parvenir à une solution politique définitive et mutuellement acceptable qui assure l’autodétermination du peuple du Sahara occidental», considérant «qu’une autonomie véritable pourrait représenter une solution des plus réalistes».
La confrontation entre ces dispositions textuelles et les affirmations d’Attaf révèle une stratégie d’omission trompeuse. Certes, le mot «souveraineté» n’apparaît pas explicitement dans le dispositif opérationnel. Mais le paragraphe 4 du préambule l’affirme sans détour en parlant d’«autonomie sous souveraineté marocaine». Surtout, les paragraphes 2 et 3 du dispositif enjoignent de négocier «en se fondant sur» et «sur la base du» plan d’autonomie proposé par le Maroc. Or, la proposition d’autonomie marocaine postule précisément la souveraineté marocaine sur le territoire. En adoptant ce plan comme base des négociations, la résolution entérine donc implicitement le cadre de souveraineté marocaine. Attaf joue manifestement sur les mots : techniquement, le terme «souveraineté» ne figure pas dans le dispositif, mais le concept y est omniprésent par référence constante au plan marocain.
La deuxième affirmation majeure d’Attaf s’avère tout aussi contestable. Selon lui, «le plan d’autonomie n’est plus le cadre exclusif, la résolution a ouvert le champ à d’autres idées, à d’autres plans alternatifs». L’examen du texte démontre qu’il s’agit d’une affirmation totalement fausse. La résolution ne mentionne aucune autre proposition que le plan marocain. Le paragraphe 2 du dispositif parle bien de «faciliter et conduire les négociations en se fondant sur le plan d’autonomie proposé par le Maroc» et précise qu’il attend «de recevoir les propositions constructives que lui feront les parties au regard du plan d’autonomie». Cette formulation est sans équivoque : les parties peuvent certes faire des propositions, mais celles-ci doivent être élaborées en référence à la proposition marocaine, dans son cadre conceptuel. Il ne s’agit pas d’une alternative entre «le plan marocain ou d’autres plans», mais bien de «propositions qui se rapportent au plan marocain».
Le paragraphe 3 du dispositif confirme cette lecture en demandant de «participer aux discussions sur la base du plan d’autonomie proposé par le Maroc» et en encourageant «les parties à faire part de leurs idées à l’appui d’une solution définitive mutuellement acceptable». L’expression «à l’appui de» ne signifie nullement «des alternatives à», mais bien «en soutien à» ou «pour contribuer à». Nulle part dans la résolution il n’est fait mention de la proposition présentée par le Polisario en avril 2007, ni de la proposition élargie soumise en octobre 2025, ni d’alternatives au plan marocain, ni d’autres cadres possibles de négociation.
La troisième affirmation centrale d’Attaf concerne l’autodétermination. Selon lui, «l’autodétermination a été découplée du plan d’autonomie». Là encore, la formulation s’avère trompeuse. Le paragraphe 3 du dispositif demande en effet de «participer aux discussions sur la base du plan d’autonomie proposé par le Maroc afin de parvenir à une solution politique définitive et mutuellement acceptable qui assure l’autodétermination du peuple du Sahara occidental». La structure grammaticale est limpide : c’est bien «sur la base du plan d’autonomie» qu’on doit parvenir à une solution «qui assure l’autodétermination». Certes, le texte précise que cette autodétermination doit être «conforme à la Charte des Nations unies», mais cette référence est immédiatement précédée de l’injonction de se fonder sur le plan d’autonomie. L’autodétermination n’est donc nullement «découplée» du plan d’autonomie comme l’affirme Attaf. Elle est au contraire conçue comme devant s’exercer dans le cadre de ce plan.
Enfin, Attaf croit pouvoir affirmer qu’«il n’y a plus les qualificatifs “sérieux, réaliste, pragmatique” pour le plan marocain». Le texte de la résolution dément formellement cette assertion. Le préambule, dans son paragraphe 4, qualifie «une véritable autonomie sous souveraineté marocaine» de «solution des plus réalistes». Le dispositif opérationnel, dans son paragraphe 3, reprend cette formulation en considérant «qu’une autonomie véritable pourrait représenter une solution des plus réalistes». Non seulement le qualificatif «réaliste» est donc présent dans le texte final, mais il est même renforcé par le superlatif «des plus réalistes».
La part du vrai
Un des rares points sur lesquels on peut donner crédit au ministre algérien concerne le maintien du cadre onusien et du rôle de l’envoyé personnel du secrétaire général. La résolution réaffirme effectivement que le processus reste sous l’égide des Nations unies, même si elle accueille favorablement «la disposition des États-Unis à accueillir les négociations dans le cadre de la mission menée par l’envoyé personnel».
Le Polisario est mentionné dans la résolution, mais une seule fois et uniquement comme partie aux consultations de l’envoyé personnel, aux côtés du Maroc, de l’Algérie et de la Mauritanie. Lorsque le dispositif parle ensuite des «parties», il se réfère à toutes les parties, sans les nommer explicitement. Si le Conseil l’avait voulu, il aurait utilisé la formule «les deux parties».
Le «peuple sahraoui» figure bien au paragraphe 3 du dispositif, mais il s’agit de la formule consacrée dans le langage onusien : «l’autodétermination du peuple du Sahara occidental». Cette mention, loin d’être une innovation ou une victoire particulière, reprend simplement la terminologie habituelle des résolutions antérieures.
Quant au mandat de la Minurso, il est certes prorogé d’un an jusqu’au 31 octobre 2026, ce qu’Attaf présente comme une victoire face au projet initial qui prévoyait une extension de trois mois seulement. Mais le ministre algérien omet soigneusement de mentionner un élément crucial du paragraphe 5 du dispositif. Celui-ci prie en effet le secrétaire général «de présenter, dans les six mois suivant la prorogation du mandat, un examen stratégique relatif au futur mandat de la Minurso, en tenant compte de l’issue des négociations». Cette disposition signifie qu’un examen stratégique du mandat de la Minurso est prévu dès avril 2026, en fonction de l’état d’avancement des négociations. Le mandat de la mission pourrait donc être substantiellement revu dès le printemps 2026. C’est une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la Minurso. Ce paragraphe remet frontalement en cause la victoire proclamée par Attaf sur le maintien intégral de la mission, et on comprend aisément qu’il ait choisi de n’en souffler mot.
L’Algérie accepte-t-elle l’autonomie ?
En apparence, l’Algérie n’accepte pas le plan d’autonomie marocain comme solution au conflit. Plusieurs éléments de son discours officiel le confirment. Attaf consacre un long développement à une critique substantielle du plan marocain, le qualifiant de «quatre pages très légères» sans contenu politique ni juridique, jamais pris au sérieux par les envoyés personnels successifs du secrétaire général.
Pourtant, la révélation par Attaf lui-même que l’Algérie était «à deux doigts» de voter pour la résolution introduit une dimension troublante dans cette posture apparemment ferme. Dans l’interview accordée en français à AL24, le ministre a en effet déclaré : «Très honnêtement, l’Algérie était à deux doigts de voter pour la résolution. Nous avons demandé dans la nuit la veille du vote que la référence à la souveraineté marocaine au niveau du préambule soit enlevée et on voterait pour le texte. Elle n’a pas été enlevée.» Cette confession spontanée, absente de l’interview en arabe, soulève d’importantes questions sur la position réelle d’Alger.
Si l’on suit le raisonnement d’Attaf selon lequel tous les éléments fondamentaux auraient été préservés dans la partie opérative de la résolution, une question logique se pose : pourquoi l’Algérie refuserait-elle de voter uniquement à cause d’une référence à la souveraineté marocaine restée dans le préambule, qui n’a pas de force juridique contraignante, alors que le dispositif lui-même appelle à négocier «sur la base du plan d’autonomie marocain» qui postule précisément cette souveraineté ?
Deux interprétations s’affrontent. La première relève d’une posture de principe cohérente. L’Algérie refuserait de voter pour toute résolution qui, même dans son préambule, contient une référence à la souveraineté marocaine sur le Sahara, car cela irait à l’encontre d’un principe constant de sa politique étrangère vis-à-vis du Maroc. Un préambule, même dépourvu de force juridique contraignante, crée un précédent politique et fournit un élément d’interprétation pour l’application du dispositif. Dans cette lecture, le «à deux doigts» signifierait simplement que l’Algérie était satisfaite du contenu opérationnel au point d’être prête à voter, mais qu’un principe intangible l’en a empêchée au dernier moment.
La seconde interprétation suggère une acceptation implicite du cadre d’autonomie. Si l’Algérie était effectivement prête à voter pour une résolution dont la partie opérative est entièrement axée sur le plan d’autonomie marocain comme base exclusive des négociations, cela indiquerait une acceptation de facto de ce cadre comme solution au conflit. Cette lecture soulève alors deux questions dérangeantes : Attaf affirme-t-il la vérité quand il prétend que le dispositif n’est pas centré exclusivement sur l’autonomie ? Ou bien masque-t-il un changement substantiel de la position algérienne derrière un discours de victoire diplomatique destiné à sauver les apparences ?
Le paradoxe du «à deux doigts»
L’examen attentif du texte de la résolution 2797 révèle que le fait qu’Attaf était «à deux doigts» de voter signifie concrètement que l’Algérie a accepté, au moins tacitement, plusieurs éléments majeurs : le plan d’autonomie marocain comme base unique des négociations selon les paragraphes 2 et 3 du dispositif ; l’autonomie sous souveraineté marocaine comme «solution des plus réalistes» selon le préambule et le paragraphe 3 ; l’autodétermination conçue explicitement dans le cadre de ce plan d’autonomie selon le paragraphe 3 ; et l’absence totale de toute mention des propositions présentées par le Polisario en 2007 et 2025.
La référence de Attaf à la phrase du préambule mentionnant la souveraineté marocaine s’avère incohérente. Le dispositif opérationnel ordonne explicitement de négocier «sur la base du plan d’autonomie marocain», lequel s’insère précisément dans cette même souveraineté. Voter pour le dispositif tout en s’opposant au préambule pour ce motif constitue donc une contradiction logique manifeste. Si l’Algérie était réellement opposée au contenu de la résolution pour des raisons de principe liées à la souveraineté marocaine, elle aurait dû voter contre le texte, et non se contenter de ne pas prendre part au vote.
L’explication la plus plausible est que l’Algérie a bel et bien accepté un recul stratégique majeur sur le dossier du Sahara. Mais elle ne pouvait voter en faveur de la résolution sans perdre toute crédibilité. Elle ne pouvait pas davantage voter contre, car cela l’aurait isolée diplomatiquement face aux quatorze autres membres du Conseil de sécurité. L’abstention représentait donc le compromis permettant de ne pas assumer publiquement un texte tout en évitant de s’y opposer. Mais Alger a finalement opté pour une option encore plus ambiguë et problématique : la non-participation au vote.
La non-participation à un vote au Conseil de sécurité constitue un acte rarissime dans la diplomatie onusienne. Elle signale généralement soit un désaccord profond qu’on ne veut pas assumer par un vote négatif, soit une fuite en avant face à une situation diplomatique devenue intenable. Le prétexte invoqué du préambule permet à Attaf de justifier cette non-participation par un point de principe relatif à la souveraineté, de masquer l’acceptation de facto du dispositif opérationnel pourtant tout aussi problématique, et de présenter cette reculade comme une quasi-victoire diplomatique en affirmant avoir été «à deux doigts» de voter favorablement. Toute une acrobatie.
La révélation faite par Attaf indique que, malgré les réserves exprimées publiquement, les autorités algériennes considèrent cette résolution, malgré tout, comme fondamentalement acceptable. L’Algérie a manifestement pris acte de son échec, ainsi qu’en atteste l’intervention de son représentant à l’ONU en explication de vote. Ce long sermon, où perçait un dépit évident, avait des accents de requiem. Mais Alger refuse catégoriquement de l’assumer publiquement par un vote, préférant maintenir une distance formelle par la non-participation.
Ce faisant, l’Algérie s’est conformée, sciemment ou non, à l’article 27 de la Charte des Nations unies, qui stipule que «dans les décisions prises aux termes du chapitre VI et du paragraphe 3 de l’article 52, une partie à un différend s’abstient de voter». Partie au différend sur le Sahara – même si elle le conteste – l’Algérie a fait mieux : elle n’a pas pris part au vote.
En définitive, la courte distance qui séparait l’Algérie du vote favorable n’était pas vraiment la mention de la souveraineté dans le préambule. C’est plutôt la distance infranchissable entre la réalité diplomatique, à savoir l’acceptation contrainte et forcée du cadre marocain, et un discours politique officiel décalé et obsolète.
Les «deux doigts» d’Attaf symbolisent l’écart entre ce que l’Algérie a accepté dans les faits et ce qu’elle peut assumer publiquement.


