Pénuries de médicaments : la souveraineté pharmaceutique marocaine entravée par la bureaucratie et la cupidité des lobbys

Le marché pharmaceutique marocain est en proie à des tensions récurrentes, révélatrices d’un déréglément structurel qui compromet l’accès de la population à des traitements essentiels. Le ministre de l’industrie et du commerce Ryad Mezzour a admis, mardi 11 février devant la Commission des secteurs productifs à la Chambre des représentants, que «la disponibilité des médicaments demeure aléatoire, oscillant entre pénuries brutales et ruptures ciblées, tant pour les princeps que pour leurs équivalents génériques.» En 2023, le Maroc a connu un déficit critique concernant trente molécules vitales, tandis qu’en 2024 la situation persiste avec un manque touchant plusieurs médicaments d’usage courant.

Un secteur sous perfusion, entre dépendance et régulation contraignante

Le marché pharmaceutique national, évalué à 22 milliards de dirhams par an, «repose sur un tissu industriel comprenant 56 unités de production générant un investissement annuel d’un milliard de dirhams et employant environ 65 000 personnes», note M. Mezzour. Pourtant, cette infrastructure peine à garantir un approvisionnement régulier. Avec une production locale couvrant 54 % de la valeur des médicaments consommés et 75 % en volume, le Maroc reste tributaire d’importations dont la volatilité expose le pays à des perturbations d’ampleur variable.

La désignation administrative des prix, bien que destinée à protéger le pouvoir d’achat des patients, «introduit une rigidité qui décourage la fabrication locale et l’importation de certaines spécialités, notamment lorsque l’augmentation des coûts de production ne se répercute pas sur les prix de vente», a-t-il pointé. L’incapacité à aligner l’offre sur la demande révèle ainsi une contradiction majeure : un cadre réglementaire rigide qui, en voulant encadrer le secteur, en compromet la viabilité et l’adaptabilité.

Le gouvernement, officiellement, affiche «l’ambition» de renforcer la production nationale mais cette volonté se heurte à des réalités économiques implacables. La concurrence des géants indiens et chinois, capables de proposer des matières premières à des prix défiant toute compétition, fragilise la capacité des industriels marocains à s’imposer sur leur propre marché. De plus, la lourdeur des procédures administratives, longtemps dénoncée par les acteurs du secteur, ralentit la mise sur le marché de nouveaux traitements. Si une réforme a récemment réduit le délai d’enregistrement des médicaments de deux ans à six mois, l’efficacité réelle de cette mesure reste à démontrer.

Une réforme en trompe-l’œil ?

Le ministre Mezzour a d’ailleurs lancé un avertissement sans équivoque aux industriels pharmaceutiques : «Les licences de fabrication et d’importation seront réexaminées si les engagements en matière d’approvisionnement ne sont pas respectés.» Cette posture, affichée avec fermeté, contraste avec les moyens concrets dont dispose l’exécutif pour contraindre un secteur privé déjà confronté à des marges réduites et à une rentabilité mise sous pression.

Le gouvernement entend dissocier l’autorisation de mise sur le marché de la régulation des prix afin de stimuler les exportations et d’encourager l’industrialisation du secteur. Mais cette approche, si elle favorise la compétitivité des laboratoires marocains à l’international, ne résout en rien la problématique de l’approvisionnement national. Miser sur des unités de production à grande échelle pourrait certes favoriser l’essor du secteur pharmaceutique mais à condition que les incitations économiques soient adaptées et que l’État adopte une vision stratégique à long terme, plutôt que des ajustements ponctuels.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *