L’indignation de l’élite culturelle meknassie est à son comble contre le désengagement dissonant envers notre langue de la part de «Kalimart», une association toute récente, à mi-chemin entre le culturel simulé et l’événementiel, qui a organisé tout récemment une rencontre pour parler «Meknès dans toutes les langues», excepté l’arabe, exclu délibérément.
La raison prétextée pour exclure la langue d’Al-Moutanabbi de la rencontre est abjectement insoutenable. «Kalimart», explique la présentatrice, avait fêté sa naissance, il y a huit mois, par l’invitation de l’auteur Mostafa Benfaida, pour parler Meknès dans ses œuvres en arabe. «Place maintenant aux autres langues», se glorifie-t-elle, devant une assistance heurtée par le motif sordide sur la base duquel «Kalimart», une association encore en phase embryonnaire, a osé bannir de facto la langue arabe de la manifestation. Outrageante démarche, murmure-t-on dans la salle de conférence du Conservatoire municipal, lieu de la rencontre.
Inadmissible, pour une association qui se dit culturelle, d’expulser flegmatiquement notre langue, reflet de notre culture et de notre identité, de son activité à caractère multilingue, sous prétexte qu’un certain auteur a parlé Meknès en arabe, il y a de cela huit mois.
Inadmissible aussi, pour «Kalimart», de faire fi de la relation langue-identité qui est si forte qu’elle constitue, pour nous, Marocains, les deux faces d’une même page, pour ne pas dire d’une même pièce.
Et comme je me réjouis à le répéter, chaque fois que l’occasion s’y prête, que j’ai eu le grand privilège, au cours de ma carrière professionnelle, d’exercer le plus beau métier du monde, celui du journalisme, qui m’a ouvert grandes les portes sur la transmission de mes idées et opinions à mes lecteurs en arabe, cet outil linguistique incontournable qui me donne à affirmer mon identité et ma culture.
Le propos ici n’est pas de s’attaquer à d’autres langues, dont le français que je maîtrise tant bien que mal (more or less), aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. La connaissance d’autres langues est une clé essentielle, voire indispensable, dans ce monde globalisé qui nous contraint à apprendre le mot de l’autre dans le domaine du savoir, de la créativité comme dans la vie. Et comme il n’y a pas de civilisation sans mélange des cultures, on ne peut se dispenser des autres langues, mais sans pour autant nous installer dans cette image valorisante de l’autre, aux dépens de notre propre image, combien rayonnante.
La langue de l’autre est un intermédiaire culturel inévitable, certes, mais il n’en demeure pas moins que notre langue reste un fort reflet de notre héritage commun. Notre fierté pour elle, n’en déplaise à Mᵐᵉ «Kalimart», nous pousse à en assurer la défense et la promotion. Et c’est auprès des associations crédibles, qui souhaitent construire un projet culturel commun – et non celles qui se projettent dans l’événementiel – que doit prendre racine cette fierté nationale. C’est une question de responsabilité et de civilité.
Et si, pour cette nouvelle association, la langue arabe, «déjà utilisée» autour du patrimoine de Meknès lors d’une rencontre vieille de huit mois, ne doit pas, de par sa portée non dimensionnelle, se mettre à deux reprises au service de la ville, l’ensemble des Meknassis, y compris les personnes de profil culturel moyen, comprennent que leur langue est l’expression d’une culture de portée universelle. Ils rejettent les idées toutes fausses qui font d’elle la langue des sous-développés et des passéistes d’une autre ère, qui réfléchissent généralement de manière monoculturelle, alors que le français ou l’anglais seraient l’apanage des gens modernes, de niveau culturel hautement développé.
Quant à la rencontre en elle-même, elle était centrée, dans son ensemble, sur un long échange d’éloges, de compliments et de flatteries entre la présentatrice et les invités venus parler Meknès, alors qu’ils n’ont prêté, dans leurs œuvres sur le Maroc, que très peu de cas à la cité ismaïlienne, au détriment d’autres villes comme Marrakech, Fès ou Rabat.
Rien n’a été dit sur Meknès, mis à part un petit extrait d’un article rédigé par un journaliste italien de passage, qui a brossé un succinct tableau sur les odeurs, les couleurs et les vestiges de la ville.
Et la présentatrice, sentant la langueur s’installer dans la salle, a conclu par cette phrase : «Pour en finir avec cette rencontre…». Lapsus, bévue, manque d’éloquence ? Peu importe, sauf qu’«en finir avec»… signifie, parmi les définitions proposées par Le Robert, mettre un terme ou tirer une croix.