La Chine s’est abstenue lors du vote du Conseil de sécurité des Nations unies approuvant la proposition marocaine d’autonomie pour le Sahara, destinée à clore le différend entre Rabat et le Front Polisario. Deux jours plus tôt, le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, avait téléphoné à son homologue algérien Ahmed Attaf pour expliquer la position de Pékin – un geste interprété, selon un rapport fleuve de China Global South Project, comme la marque d’un «équilibrisme de plus en plus fragile entre Alger et Rabat».
Les analystes cités par l’observatoire soulignent que «la Chine s’efforce depuis plusieurs années de maintenir une parité prudente entre les deux puissances du Maghreb mais son abstention risque désormais d’alimenter au Maroc l’idée d’un basculement discret de Pékin vers Rabat». L’étude rappelle que «le partenariat économique sino-marocain, en plein essor, s’impose comme l’un des faits politiques majeurs du Nord de l’Afrique», issu d’un pragmatisme chinois cherchant des «portes dérobées vers les marchés occidentaux» et de la volonté marocaine «d’élargir ses alliances au-delà de son cercle traditionnel».
Ce rapprochement, poursuit China Global South Project, a provoqué «une série de réactions différenciées dans l’espace méditerranéen, particulièrement en France, en Algérie et en Tunisie, chacune réfractant la montée de la Chine à travers ses propres prismes politiques, historiques et médiatiques». L’observatoire s’attache à examiner «comment experts et journalistes y perçoivent le tête-à-tête sino-marocain, à la fois miroir et catalyseur d’un profond remaniement des rapports de force au Maghreb».
La France cultive ses liens avec le Maroc face aux intérêts chinois
L’étude note que «le refroidissement d’Alger avec Paris a ensuite conduit l’Élysée à réviser sa diplomatie nord-africaine en direction de Rabat». La visite d’État du président français en octobre 2024 est décrite comme «un tournant décisif», marquée par la reconnaissance explicite par le président Emmanuel Macron de la «souveraineté marocaine sur le Sahara», geste inédit qui visait, selon l’observatoire, «à ressaisir une influence déclinante et à reconstituer un socle stratégique dans le Royaume».
Depuis cette réconciliation, souligne le rapport, «les échanges ministériels se sont multipliés, donnant l’illusion d’un réchauffement durable». Mais derrière cette détente, «la France découvre que son ancien pré carré s’émancipe». Le Point évoque des «pays du Maghreb qui s’éloignent de plus en plus de Paris», tandis que Le Monde observe que «face à l’impasse algérienne, Paris réoriente sa diplomatie maghrébine en faveur de Rabat». Pourtant, le Quai d’Orsay s’emploie à nier toute logique de jeu à somme nulle, soutenant que «le rapprochement avec l’un ne se fait pas au détriment de l’autre».
Mais, remarque China Global South Project, «sous le vernis du discours d’équilibre affleure la reconnaissance implicite de la nouvelle centralité du Maroc». Le site mentionne Jeune Afrique, où Frédéric Maury et Nadia Rabbaa notent que «le Royaume, petit marché à l’échelle mondiale, s’est hissé au rang d’interlocuteur privilégié pour l’Europe et pour la plupart des pays francophones d’Afrique».
Dans ce contexte, «la montée en puissance de la Chine au Maroc apparaît pour Paris comme un défi stratégique». Le journaliste Mohand Hakhifi résume la situation : «La prépondérance historique de la France au Maroc s’effrite au profit d’une puissance qui investit les secteurs clés autrefois sous tutelle française». L’observatoire cite en exemple «la rivalité sino-française dans le transport ferroviaire où le géant public chinois CRCC s’est imposé dans le projet Marrakech-Agadir après avoir supplanté la domination française sur la ligne Tanger-Casablanca».
Selon l’observatoire, «les médias français oscillent entre l’alarme et l’appel au sursaut». RFI décrit «l’afflux de touristes et d’investisseurs chinois au Maroc comme un atout et une menace», et certains titres, note le rapport, «s’abandonnent à une rhétorique quasi coloniale dénonçant une supposée ‘sinisation’ de l’ancien protectorat».
China Global South Project souligne enfin que «Rabat marche sur une corde raide entre Paris et Pékin». L’économiste Abdelmalek Alaoui rappelle que «le refus du Maroc d’adhérer au bloc des BRICS témoigne d’une conscience aiguë des risques que présenterait un rapprochement excessif avec la Chine pour ses alliances occidentales». À l’inverse, François Lafargue juge «ce basculement moins radical qu’on ne le prétend, la présence chinoise demeurant complémentaire des investissements européens».
L’ensemble du discours français, observe le site, «trahit néanmoins une anxiété de fond : celle de voir la France supplantée par une puissance à la fois plus pragmatique et moins culpabilisée par son passé africain».
L’Algérie glorifie Pékin mais craint la marginalisation régionale
L’analyse de China Global South Project décrit un paysage médiatique algérien scindé entre hantise officielle et scepticisme constant. Les médias d’État continuent de vanter «une amitié parfaite entre Pékin et Alger». La radio nationale salue «le forum bilatéral de 2025, jalon d’une coopération exemplaire», assorti de huit accords pour «deux milliards de dollars d’investissements» dans l’automobile, les chemins de fer et l’agriculture. Isabelle Werenfels, du SWP de Berlin, estime que «si l’Algérie demeure un marché, le Maroc est devenu un partenaire de co-production dans des projets à forte valeur ajoutée». D’après China Global South Project, «l’abstention chinoise au Conseil de sécurité a souligné les limites du partenariat dit ‘stratégique global’ entre Pékin et Alger, éclipsé par la profondeur économique des liens sino-marocains».
Le journaliste Abdou Semmar, fondateur d’Algérie Part, dénonce «le déclin réel des investissements chinois depuis la fin de l’ère Bouteflika» et juge que Pékin «perçoit désormais l’Algérie comme un pays instable et fermé». Il remarque que «la halte du président Xi Jinping à Casablanca en 2024, passée sous silence dans la presse algérienne, annonçait déjà une recomposition régionale préjudiciable à Alger».
Toujours cité par le rapport, M. Semmar avertit : «Le président Tebboune nous isole : tous les grands projets sont déviés vers le Maroc». Il ajoute que «les discussions avec le groupe français CMA-CGM sur les infrastructures portuaires traduisent un glissement d’alliance, symptôme du reflux de l’intérêt chinois pour l’Algérie».
China Global South Project conclut que «derrière le discours officiel de fraternité sino-algérienne se profile une angoisse croissante d’isolement», renforcée par la vitalité du voisin marocain.
La Tunisie s’inspire de Rabat tout en déplorant son retard
Dans un ton plus mesuré, la Tunisie se distingue par une approche introspective. China Global South Project relève que «les médias tunisiens reconnaissent la solidité historique du lien avec la Chine, tout en admettant sa faiblesse stratégique». Le quotidien La Presse de Tunisie parle de «relations amicales et bénéfiques mais encore sous-exploitées».
L’ambassadeur de Chine à Tunis, Wan Li, a récemment plaidé pour «un nouveau point de départ dans la coopération bilatérale» à l’occasion du soixantième anniversaire des relations diplomatiques. De son côté, le diplomate Elyes Kasri déplore que «il y a trente ans, la Tunisie servait de modèle au Maroc ; aujourd’hui, la hiérarchie s’est inversée».
Les chercheurs Donia Jemli et Adrien Mugnier, de l’Observatoire français des Nouvelles routes de la soie, estiment que «le rapport tunisien à la Chine est arrivé tard et demeure sous-exploité faute de vision stratégique». L’absence d’infrastructures logistiques et la crise politique ont, selon eux, «empêché Tunis d’intégrer la dynamique des Nouvelles routes de la soie, contrairement à Rabat».
China Global South Project cite encore l’analyse de Sabina Henneberg et de Louis Dugit-Gros, pour qui «les obstacles structurels internes freinent l’attractivité tunisienne aux yeux des investisseurs chinois». Le président de la Fédération tunisienne des agences de voyages, Ahmed Bettaieb, voit dans le Maroc et l’Égypte «des concurrents directs pour le tourisme chinois».
Les médias économiques, tels que L’Économiste Maghrébin, exhortent le gouvernement à «tirer les leçons de la méthode marocaine : constance, planification, et diplomatie économique offensive». Pour Tunisie Numérique, «l’alliance entre Rabat et Pékin représente une avance considérable sur la Tunisie et l’Algérie». Le journaliste français Sébastien Le Belzic décrit le Maroc comme «le partenaire maghrébin le plus légitime pour la stratégie méditerranéenne de la Chine, grâce à son port de Tanger, troisième hub mondial après Shanghai et Panama».
Le rapport conclut que «la Tunisie admire le dynamisme marocain tout en s’inquiétant de son propre immobilisme». Les milieux économiques tunisiens, souligne-t-il, «en appellent à une révision en profondeur de la politique étrangère pour ne pas être relégués dans l’ombre du voisin chérifien».
À travers ces observations croisées, China Global South Project résume : «Le resserrement du lien sino-marocain agit comme un révélateur des déséquilibres du Maghreb et du déclin des hiérarchies héritées de la période postcoloniale». Selon le site, «tandis qu’Alger s’enferme dans un discours idéologique et que Tunis subit sa crise interne, Rabat a su transformer le pragmatisme en puissance d’attraction, reliant l’Afrique, l’Europe et l’Asie dans une même architecture d’interdépendance».
