Dans la guerre qu’Israel mène contre Gaza et la Cisjordanie, les journalistes sont ciblés sur le terrain comme à distance pour leurs couvertures ou leurs opinions exprimées qui ne rentrent pas dans le moule d’une intelligentsia bien-pensante. Les attaques dans le dernier cas semblent se jouer sur plusieurs fronts. Dernièrement l’ESJ (l’Ecole supérieure de journalisme, Paris) et son président Guillaume Jobin ont fait l’objet d’un article à charge par le Point où se mêlent critiques des choix de nominations aux postes de directions, en l’occurrence d’une directrice palestinienne, le choix d’ouverture d’écoles dans le monde arabe, le relationnel, le monitoring des étudiants, les actions des étudiants, tout y passe.
En retour le président de l’ESJ publie un communiqué de presse qui condamne l’essence même de l’article pointé comme un règlement de compte plutôt qu’une enquête, comme une investigation légère qui ne répond pas aux normes journalistiques du genre et l’accuse de servir un discours anti-arabe : «Cette « enquête », antithèse de ce qu’apprennent les élèves en journalisme, s’est résumée à sa venue à la dernière Journée Portes ouvertes, à la déformation du sens des propos du grand reporter Jean-Marie Montali et à envoyer un questionnaire hallucinant (dont il n’a repris aucune de mes réponses) de xénophobie notamment anti-maghrébine, avec dénigrement et accusations contre des invités, intervenants et employés prénommés Nadir, Ali, Khaled, Elhame, entre autres !» .
Entretien avec Guillaume Jobin qui répond à nos questions en suivant l’ossature de «l’enquête menée par Le Point».
Tout en reconnaissant au journal «Le Point» le mérite de faire son travail en s’intéressant à un sujet, vous l’accusez de surfer sur la tragédie des conflits d’Ukraine et du conflit Israel-Gaza sans respect de la déontologie.
Le journaliste m’a envoyé une liste de questions antérieure à la publication de son article. L’une d’elles concernait les propos enflammés par rapport à la guerre de Gaza de notre ancienne directrice du pôle arabophone datant d’un mois et repris sur la toile. Je précise que Noha Rashmawi est palestinienne trotskiste et mariée à un juif. Une autre s’intéressait au renvoi il y a un an de trois employés pour sabotage et détournement de fonds afin de couler l’ESJ et pouvoir la racheter pour un euro symbolique.
Son angle, si je peux dire, c’était, si je puis résumer : vous virez du personnel pour le remplacer uniquement par des Arabes, noms à l’appui. Je ne vais me rendre compte qu’il ne cite que des noms algériens qu’après la sortie de l’article. Il soutient également que je ne choisis plus au sein de l’école que des étudiants arabes. Il va sans dire que cette école dispose d’une administration et que nous acceptons les gens de toutes les parties du monde lors des inscriptions, ni la religion ni l’origine n’étant des critères de sélection.
Sur le moment j’ai le sentiment que le journaliste est sensible à la théorie d’extrême droite du Grand Remplacement, mais je réponds à ses questions. Ce qu’il soutient, de manière caricaturale c’est qu’il y n’a plus un « blanc » à l’ESJ, qu’on ne choisit que du personnel arabe. Sur 120 professeurs 5 sont arabes dont quatre ont la nationalité française. De ce fait, ce qu’il soutient correspond clairement à un délit au sens pénal d’incitation à la haine raciale.
Parmi les points qu’il m’a adressés, il déroule une autre théorie selon laquelle l’ESJ est propalestinienne en empruntant un raccourci et une dérive puisque de propalestinienne, il la labellise de pro-Hamas concluant que l’école était devenue aujourd’hui, la partie visible d’un iceberg terroriste islamiste.
Il n’a repris dans son article aucune de mes réponses alors que j’ai répondu à toutes ses questions et encore moins celles sur la Palestine, qui est traitée à l’ESJ comme un sujet d’actualité depuis le 7 octobre, ou encore sur la guerre Russie-Ukraine. La conclusion que j’en tire, c’est que c’est un travail d’apprenti journaliste.
Dans la même veine avant la parution de cet article qui s’attaque à moi et à l’ESJ il s’en est pris à l’université de Nanterre. Je rappelle que c’est l’établissement d’études supérieures au sein duquel sont inscrit la plus grande majorité de Maghrébins en France. C’est aussi le plus gauchiste en France historiquement.
Cet article est-il, selon vous, un règlement de compte contre l’ESJ pour son pôle arabophone ou un règlement de compte personnel ?
Quand je lis l’article in extenso il renferme 3 ou 4 informations que seuls moi et deux responsables techniques remerciés étaient au courant.
Il y a une dimension pénale dans ce dossier, c’est de pointer du doigt les gens avec leurs noms de famille, d’origine étrangère dans le cas d’espèce algérien, et soutenir qu’il y a trop d’Arabes à l’ESJ et que l’ESJ n’est présente que dans les pays du Maghreb, la Russie et la Palestine. L’ESJ est présente dans 20 pays.
S’il faut dénombrer les gens qui fréquentent l’ESJ selon leur « origine » il y a 5 arabes sur 12 personnes, étudiants et personnel permanent confondus.
Le fond de cet article est que le journaliste qui l’a produit a instrumentalisé le conflit Israël-Gaza et le conflit Russie-Ukraine pour pouvoir nous chercher des noises et dérouler un discours haineux xénophobe non pas pour rendre service à l’ancienne équipe mais utilisant l’ancienne équipe pour pouvoir, à 25 ans ou 26 ans, se faire passer pour un grand journaliste d’investigation.
Quels médias en France, à votre avis, restent fiables dans leur couverture du monde arabe et/ou du conflit Israel -Gaza-Cisjordanie ?
Tout d’abord je voudrais attirer l’attention sur le fait que quand on regarde les chaînes d’information en continu, le discours anti-islam, puisqu’on ne peut plus dire anti-maghrébin ou anti-arabe, revient en force sans pour autant qu’il y ait une actualité qui l’expliquerait.
Pour moi, aujourd’hui il reste l’Humanité avec son angle communiste et La Croix, qui en dehors des deux pages chrétiennes et du courrier des lecteurs, est fondamentalement un journal sincère même sur le conflit du Moyen-Orient et le conflit de l’Ukraine.
Je m’aperçois aussi que le journal Le Monde revient à une position relativement honnête et à son rôle informatif en couvrant le conflit Israël-Gaza sans parti pris.

